Le pire, c'est que chaos verbal a atteint le cœur de la démocratie, le Palais-Bourbon. Ce qui fait des députés des exemples à ne pas imiter, alors qu'ils sont censés représenter leurs électeurs. Pendant la discussion sur le projet de la réforme des retraites, des incidents se sont produits qui se sont traduits par d'inévitables sanctions. Les plus fort-en-gueule ont néanmoins le dernier mot. On peut donc dire à l'Assemblée qu'un ministre est un « assassin » et s'en sortir avec une punition légère. Et récidiver ? Que sont ces colères inextinguibles, cette hargne contre l'exécutif ou un simple ministre, cette manière de le diminuer, comme si les accusateurs avaient la supériorité morale et les accusés le seul droit de se taire ? Pourquoi la majorité, fût-elle relative, n'aurait-elle pas le droit de réformer les régimes de retraite ? Comment la France insoumise serait-elle perçue comme un simple parti de l'opposition quand elle dépose 20 000 amendements au projet et se scandalise ensuite du fait que les députés ne sont pas arrivés à l'article 7 de la loi qui prévoit le départ à 64 ans ?
Tout le monde a compris que l'exécutif a durci ses positions, qu'il est las de ce désordre organisé et que LFI ne fait que de l'obstruction. Mais, de son côté, le gouvernement, confronté à des méthodes absurdes qui font bon marché de l'image du pays, se voit autorisé à appliquer les solutions extrêmes, recours à l'article 49/3 ou dissolution de l'Assemblée. On le met en garde contre de telles initiatives qui signeraient son autoritarisme. Mais quoi ? S'il n'y a pas de bon sens dans les partis, il n'y en aura pas dans l'exécutif.
Une cabale au nom de la liberté
D'autant que l'espoir d'une coalition de circonstance entre Renaissance et les Républicains se dissipe. Le député du Lot, Aurélien Pradié, qui emmène avec lui un petit groupe de frondeurs, ne trouve pas la coopération avec les macronistes à son goût. Il fomente une cabale au nom de la liberté, mais en réalité il se moque de l'absence de réforme et veut seulement gagner en notoriété personnelle. Oui, mais, qu'est-ce que LR ? Le plus grand souhait de ce parti est de redevenir le parti de gouvernement qu'il a été et qui a piloté des réformes substantielles. Et comment sert-il son ambition ? Un des phénomènes français de ce siècle, c'est l'apparition des frondeurs dans tous les partis, de sorte qu'aucun n'a le privilège de conduire un programme de stabilisation de la vie économique et politique du pays. Le mal vient de loin, les frondeurs sont apparus au PS sous François Hollande et lui ont fait une vie misérable. Ce sont les mêmes qui, aujourd'hui, s'opposent uniquement pour s'opposer.
Cette crise politique française sera d'autant moins réglée par le débat que les députés l'ont tué de leurs vociférations. En conséquence, le président de la République devra, encore une fois, prendre une décision autoritaire de plus. Voilà comment des gestes techniques (chaos verbal et amendements en surnombre) ont suffi à dévaloriser nos institutions, ont transformé l'Assemblée en foire d'empoigne et ont été accomplis par des gens qui se prennent pour Bonaparte sur le pont d'Arcole.
Le spectacle de la France d'aujourd'hui a quelque chose de lunaire. La colère et la haine règnent. Le pouvoir serait criminel. Se ranger dans l'opposition est forcément vertueux. La gauche s'est déjà rompue, mais elle fait encore référence à ses idoles abattues, elle n'a que la nostalgie d'un passé dont elle continue à croire qu'il est glorieux. Ce ne sont pas les citoyens les plus pauvres qui poursuivent ces chimères, mais souvent des intellectuels et même des retraités, qui mènent une vie bourgeoise et ont plongé dans le mélenchonisme non pour les idées qu'il défend mais parce que, une fois au pouvoir, il les épargnera.