Des manifestations ont eu lieu en Bretagne, dans les Landes, en Alsace et partout dans les régions où les familles veulent que les enfants héritent du dialecte local. Parmi les manifestants, on aura vu Jean-Yves le Drian et François Bayrou, ce qui montre que le sujet traverse les lignes politiques. Pour l'exécutif, cette crise s'ajoute au contentieux accumulé depuis le début du mandat d'Emmanuel Macron, alors que la situation économique et sanitaire s'améliore. L'unique avantage de l'affaire, c'est qu'elle vient non pas du pouvoir mais du Conseil constitutionnel.
Au prix de l'amalgame, les commentaires, dans la presse, sont unanimement favorables aux langues régionales qui traduiraient la diversité du pays et de ses particularismes locaux. On fait valoir que le français n'est pas menacé, qu'il est partout et dans toutes les têtes et qu'il s'agit seulement de maintenir en vie des patois menacés par le non-usage. Il faut admettre que personne, en Bretagne ou en Corse, ne risque de se perdre sous le prétexte qu'on n'y trouverait plus des gens parlant le français. Ce que craint le Conseil, c'est une dérive qui finirait par remplacer la langue nationale par la langue locale. Mais cette hypothèse est invérifiable et peu probable. Elle accentue seulement une position centralisatrice qui a toujours été le mot d'ordre des républiques successives et, avant elles, des monarchies.
Il ne faut certes pas négliger le rôle qu'a joué le français dans l'unité nationale depuis dix siècles. Aujourd'hui, la bataille des langages recouvre un très ancien différend entre girondins et jacobins : tout à coup, le Conseil a porté atteinte à un patriotisme local dont les Français sont fiers. Souvenez-vous : quand on a refait les plaques d'immatriculation des véhicules, il a fallu garder la mention du département, pourtant devenue caduque. Avec les langues régionales, c'est le même réflexe : c'est à cette terre que j'appartiens et à nulle autre.
Du bon usage de la langue nationale
On peut donc se poser la question : la géographie et les dialectes ne risquent-ils pas de fracturer le pays ? Si c'était le cas, les dommages seraient déjà observés. Le problème se situe ailleurs, dans le bon usage du français, qui n'a jamais été prouvé. Pétri d'anglicismes, concurrencé par le verlan et autres langues apparues spontanément, porté par des personnes au vocabulaire et à la grammaire insuffisants, il a lui aussi besoin d'un enseignement plus intense et plus strict. Il a été affaibli par des enseignements concurrents, comme les langues étrangères ou les sciences naturelles, mais il n'y a aucune raison de sacrifier le français. Bien parlé et bien écrit, il ouvre toutes les portes professionnelles, il est indispensable à la décence des postulants, il représente le premier savoir alors que les autres peuvent être appris après lui. La rigueur des entreprises, qui éliminent des candidats à un poste parce qu'ils s'expriment mal, traduit tout simplement la faillite de la formation au français, une langue que l'on doit apprendre comme si on la connaissait mal ou pas du tout.
Il ne faut pas pour autant que la crise des langues régionales s'envenime. Il faut éviter une querelle nationale dans un contexte politique encore très chargé par de multiples crises et qui va rester électoral pendant un an. Il appartient au président et à son équipe de respecter les divers dialectes et patois, d'éliminer les jargons nés dans la rue et de renforcer l'usage et surtout le respect du français.