L’adénocarcinome du pancréas (AP), qui représente 90 % des cancers pancréatiques, est un problème de santé publique. Selon les projections les plus récentes, il deviendra la deuxième cause de décès par cancer aux États-Unis et en Europe au cours de la décennie 2020-2030, derrière les tumeurs bronchiques (1). L’incidence de l’AP est très hétérogène au niveau mondial, avec des disparités régionales pouvant varier selon un facteur 5 à 7. Cette hétérogénéité géographique suggère la participation combinée de facteurs génétiques et environnementaux (2).
Un pronostic toujours sombre
En France, plus de 14 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année (3). L’augmentation d’incidence de l’AP y est plus marquée que dans les autres pays occidentaux, d’un facteur deux chez les hommes et trois chez les femmes entre 1982 et 2012, avec un pourcentage de variation annuelle de respectivement +2,30 % et +3,60 %, sans explication épidémiologique claire (3).
Malgré les progrès thérapeutiques récents, permis notamment par l’avènement de la chimiothérapie par FOLFIRINOX (4-6), l’AP reste le cancer digestif dont le pronostic est le plus sombre, les taux de survie globale à 5 ans tous stades confondus ne dépassant pas 7 %-8 % (7). Devant ces chiffres inquiétants, le cancer du pancréas a été reconnu comme une priorité par l’Institut national du cancer (INCa) avec la promotion d’un Programme d’actions intégrées de recherche (PAIR) consacré à ce cancer en 2017.
Certains facteurs de risques connus
• Le tabagisme. C'est le principal facteur de risque de cancer du pancréas (RR : 2-3). Non seulement le risque persiste plusieurs années après l’arrêt du tabac, mais il existe aussi pour le tabagisme passif.
• L’âge. L’âge médian au moment du diagnostic est de 70 ans. L’augmentation actuellement observée du nombre absolu de nouveaux cas d’AP pourrait être expliquée en partie par le vieillissement des « babys boomers », atteignant l’âge à risque de développer un AP.
• Un diabète de type 2 ancien. Il est associé à un risque augmenté de survenue d’AP (RR : 2) [8]. Un diabète de découverte récente (2-3 ans avant le diagnostic d’AP) est plutôt considéré comme un syndrome paranéoplasique, lié à une dysfonction des cellules β et à une insulinorésistance induites par la tumeur.
• L’obésité. Elle est associée, avec le surpoids (en particulier à l’adolescence [9]) et le syndrome métabolique, à la survenue de nombreux cancers dont l’AP.
• La génétique. Les cancers pancréatiques familiaux (CaPaFa), définis par au moins deux apparentés au premier degré atteints d’AP, représentent environ 10 % des cas. Une anomalie génétique n’est identifiée que dans environ 20 % des CaPaFa (tableau 1). Les principales altérations génétiques décrites sont des mutations dans les gènes ATM, BRCA1/2, PALB2 et CDKN2A (10). L’association d’AP et de cancer du sein ou de l’ovaire doit faire évoquer une mutation germinale de BRCA, avec des implications pour leurs apparentés et pour le traitement de ces patients (d’après les résultats de l’étude de phase III POLO présentés à l’ASCO 2019, portant sur l’administration d’un inhibiteur de PARP, l’olaparib, en maintenance après une chimiothérapie à base de sels de platine).
• La pancréatite chronique. L’inflammation chronique observée dans cette pathologie est un facteur promoteur de la carcinogenèse pancréatique (RR : 2-6). La pancréatite pouvant aussi être la conséquence d’une sténose tumorale des canaux pancréatiques, une cause tumorale obstructive doit être systématiquement recherchée sur l’imagerie lors du bilan étiologique d’une pancréatite chronique ou d’une pancréatite aiguë non alcoolique non biliaire.
Quelques facteurs protecteurs ?
Les facteurs protecteurs actuellement connus sont l’atopie, le traitement par la metformine chez les patients diabétiques, et le groupe sanguin O. Le rôle protecteur de l’aspirine n’a pas été démontré.
D’autres facteurs, encore débattus, ont un rôle qui reste à préciser. C’est le cas des multiples variants génétiques émergeant à la faveur du développement du séquençage haut débit, de la consommation excessive d’alcool, du régime alimentaire, des toxiques environnementaux, de l’ethnie (africaine), de l’infection par Helicobacter pylori et de l’antécédent de gastrectomie.
Au total, les facteurs de risque d’AP actuellement connus ne permettent pas d’expliquer complètement l’évolution épidémiologique observée en France et dans le monde (figure 1). Leur connaissance et l’identification de nouveaux facteurs de risque pourraient permettre d’ouvrir la voie à des stratégies de prévention et de définir une éventuelle population-cible pour un dépistage. De grandes cohortes à l’échelle nationale (E3N) ou internationale (EPIC, PanGen-EU et Pan-C4) sont en cours pour préciser l’implication de ces facteurs de risque constitutionnels et environnementaux.
Département d’oncologie médicale, Institut Curie, site de Saint-Cloud
(1) Rahib L et al. Cancer Res 2014;74:2913-21.
(2) Maisonneuve P et al. Int J Epidemiol 2015;44:186-98.
(3) Bouvier AM et al. Int J Epidemiol 2017;46:1764-72.
(4) Neuzillet C et al. Dig Liver Dis 2018;50:1257-71.
(5) Conroy T et al. N Engl J Med 2011;364:1817-25.
(6) Conroy T et al. N Engl J Med 2018;379: 2395-406.
(7) Siegel RL et al. CA Cancer J Clin 2018;68: 7-30.
(8) Bosetti C et al. Ann Oncol 2014;25:2065-72.
(9) Zohar L et al. Cancer 2019;125:118-26.
(10) Zhen DB et al. Genet Med 2015;17:569-77.