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Dossier

Télémédecine et Covid-19

La téléconsultation passera-t-elle la crise de la quarantaine ?

Publié le 26/06/2020

Notre enquête menée en ligne sur legeneraliste.fr confirme que les médecins de famille ont massivement réalisé des consultations à distance au plus fort de l'épidémie de Covid-19. Malgré parfois quelques difficultés techniques, ils ont plutôt apprécié ce nouvel outil. Pour autant, seul un tiers d'entre eux envisage d'utiliser davantage la téléconsultation à l'avenir, une moitié excluant de le faire.

La téléconsultation (TLC) a explosé en France pendant l'épidémie de coronavirus. Environ 5,5 des 5,8 millions de téléconsultations remboursées par l’Assurance maladie entre le 15 septembre 2018 et le 30 avril 2020 ont été effectuées entre mars et avril 2020, au plus fort de la crise, selon un récent bilan de la Cnam. Plus de quatre téléconsultations sur cinq ont été facturées par des généralistes. Et cet engouement a concerné un très grand nombre de médecins libéraux, 57 000 ayant réalisé en moyenne 100 consultations à distance. Au début de l'épidémie, les autorités sanitaires ont donné pour consigne de privilégier le recours à la télémédecine pour limiter les déplacements dans les cabinets médicaux et l'exposition au coronavirus.

Un cadre réglementaire assoupli

Le ministère de la Santé a aménagé les conditions réglementaires en remboursant intégralement ces actes par l'Assurance maladie – une ordonnance prévoit de prolonger cette disposition « jusqu'à une date précisée par décret, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2020 ». Ségur a par ailleurs permis que des actes à distance aient lieu même si le médecin traitant n'avait pas été vu dans les douze derniers mois. La réalisation de téléconsultations a été autorisée sur des réseaux sociaux ou des applis, et même par téléphone !

Concertée, la Haute autorité de santé (HAS) a publié le 2 avril une réponse rapide sur la téléconsultation et le télésoin. « La téléconsultation est apparue comme le meilleur moyen de continuer d’assurer une prise en charge des patients, tout en assurant leur protection et celle des professionnels de santé », explique Marc Fumey, adjoint au chef de service évaluation de la pertinence des soins et amélioration des pratiques et des parcours à la HAS.

Pour des raisons de sécurité sanitaire ou pour maintenir un minimum d'activité, la profession a adhéré à la consultation à distance. Selon une enquête de la Drees (ministère de la Santé), sept généralistes sur dix y ont eu recours pendant la crise. S'il est un peu retombé, l'engouement pour ce nouveau mode de consultation – qui a dépassé le million d'actes réalisés la semaine du 6 au 12 avril – demeure important, avec environ 600 000 actes par semaine, soit trente fois plus qu'avant l'épidémie.

Désireux de savoir comment les généralistes avaient apprécié cette nouvelle façon de consulter et s'ils comptaient l'inscrire dans leur pratique, Le Généraliste a lancé une enquête en ligne le 10 juin. Signe d'un réel intérêt pour le sujet, près de 700 médecins de famille y ont participé en une semaine. Et les résultats sont instructifs. Sans surprise, cette concertation confirme que l'épidémie de Covid-19 a accéléré la pratique de la téléconsultation. Sur les 95 % de répondants ayant réalisé pendant la crise un acte à distance, seuls 11,6 % avaient franchi le pas avant l'épidémie. La téléconsultation a d'ailleurs pris une part considérable dans l'activité des généralistes en mars et avril puisque 36,8 % de ceux l'ayant pratiqué ont réalisé plus de cinq TLC par jour (55 % chez les moins de 40 ans !). L'expérience a d'ailleurs été jugée relativement satisfaisante par les généralistes, qui lui attribuent une note honorable de 6,3 sur 10. Les plus jeunes médecins, qui l’ont le plus utilisée, sont les plus critiques avec 5,8 sur 10 !

Résultats de l'enquête du Généraliste

26 % des MG prêts à y réserver un créneau

Même si peu d'actes à distance ont été jugés inutiles, c'est-à-dire ayant donné lieu à une erreur ou un retard de diagnostic, les contempteurs de la téléconsultation soulignent avoir dû revoir des patients en consultation physique, le plus souvent car un examen clinique s'imposait – ont-ils précisé dans les commentaires libres.

D'ailleurs, une part importante de médecins (près de 43 %) estime que le recours à la téléconsultation devrait être davantage encadré qu'il ne l'est aujourd'hui. À ce jour, aucun motif de consultation n'est exclu pour accéder à une consultation à distance.

Paradoxalement, malgré cette expérience concluante pendant l'épidémie, et même si un tiers des généralistes a répondu vouloir s'investir davantage dans la téléconsultation, une petite majorité de médecins (53 %) ne souhaite pas réaliser davantage d'actes de télémédecine qu'avant la crise. Et seuls 26 % envisagent de réserver un créneau pour les téléconsultations dans leur agenda.

« Cette enquête montre que les généralistes ne sont pas figés dans leur pratique et qu'ils sont prêts à s'adapter, analyse le Dr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale (CMG). Malgré les importantes réticences de certains, la téléconsultation s'est développée avec succès pendant la crise, mais on voit bien que cet outil n'est pas considéré comme l'alpha et l'oméga. Le cœur de métier reste la consultation physique et le relationnel avec le patient. » Pour autant, le patron du CMG estime que la téléconsultation va trouver sa place. «  Nous devrons veiller à ce que cela soit simple pour le patient qui souhaite téléconsulter, avec une inter-opérabilité de plateformes de téléconsultation pour éviter de connaître les mêmes difficultés qu'avec les logiciels des nombreux éditeurs, souvent incompatibles », conclut le Dr Frappé.

Résultats de l'enquête du Généraliste

Un mode d'exercice fatigant

Le succès récent de la télémédecine a conforté les espoirs placés en elle par de nombreux adeptes. Le Dr Thomas Bammert, généraliste à Guérande, qui a lui-même expérimenté la téléconsultation depuis six mois et réalisé jusqu'à 80 % de ses actes à distance entre le 15 mars et le 15 avril, estime, lui, que l'engouement pour ce nouvel outil sera « irréversible ». Il observe que des confrères s'étant équipés pendant l'épidémie sont devenus plus accros que lui.

En dépit de son enthousiasme, le Dr Bammert émet toutefois des bémols. « Il est très fatigant d'enchaîner les téléconsultations sur écran. Et nous devons faire face à des difficultés de connexion des patients qui peuvent être perturbantes. » Au moins une TLC sur quatre n'a pas fonctionné correctement et a dû être terminée au téléphone, affirme-t-il.

La consultation à distance a aussi ses limites. « Un collègue, qui avait vu une patiente Covid-19 en téléconsultation, lui a adressé une ordonnance en pharmacie. La pharmacienne l'a appelé ensuite car la patiente était arrivée très essouflée. Cette dernière a dû être hospitalisée. Sa dyspnée n'avait pas été décelée par la visio. »

La question du choix d'un opérateur va également se poser pour les médecins. Une centaine de solutions différentes, lancées par des acteurs publics et privés, enregistrées par le ministère de la Santé, proposent des fonctionnalités et des prix d'abonnement (de 0 à 79 euros par mois) variés. Créateur du kit e-santé, un outil permettant aux médecins de s'informer sur la téléconsultation et d'opérer son choix en comparant les offres existantes, le Dr Bammert observe que nombre de confrères ayant opté pour un opérateur dans l'urgence voudront peut-être en changer après une plus scrupuleuse analyse. Indépendamment des fonctionnalités et du coût, certaines contraintes peuvent entrer en ligne de compte. « Pour les téléconsultations sur FaceTime et WhatsApp, le médecin est obligé de communiquer son numéro de portable perso, ce qui n'est pas le cas avec Skype ou Jitsi », poursuit le Dr Bammert.

Même si la téléconsultation restera minoritaire, beaucoup de médecins vont poursuivre. « Il y aura un avant et un après-Covid », pronostique Thomas Bammert, selon qui la téléconsultation est adaptée à beaucoup de motifs pour lesquels il n'est pas nécessaire d'examiner le patient (certificats, renouvellement d'ALD, conseil, résultats d'analyses…), permettant ainsi de limiter les déplacements inutiles.

Des avis partagés sur legeneraliste.fr

Ubérisation Que d’enthousiasme pour ce nouveau mode d’exercice… Le plus drôle, c’est que les généralistes ne se rendent pas compte qu’avec ce système, ils accélèrent l’ubérisation de la médecine. Demain, quand vous aurez habitué les patients à ce mode de consultation, ils pourront avoir des consultations 24h/24h avec un médecin basé à l’étranger. Dr YSD

Défiance C’est un mode d’exercice dégradé. En faire la promotion dans des conditions d’exercice normales fera perdre beaucoup de temps pour une qualité d’acte minorée. Dr BRZ61

En complément… Il faudrait que certains comprennent que les téléconsultations ne viennent pas à la place mais en plus des consultations classiques. Ces dernières sont évidemment irremplaçables. Dr DS

Savoir s’adapter La télémédecine restera utile pour des consultations de suivi et dans les régions de désert médical. Il faut développer la sémiologie de l’examen à distance, en s’aidant notamment d’objets connectés. Si on reste dans une démarche de médecine par l’interrogatoire, les chatbots vont vite prendre la relève, et ils seront quasi gratuits. Dr Jean-Marc J

Contact visuel Dans les suivis Covid-19 par téléphone, certains patients avaient une belle voix et une « sale tête » (état subfébrile). La téléconsultation, elle, permet de voir le patient. Et on peut lui demander de venir au cabinet si on a besoin d’un examen physique. Dr Florence C

Danger ! Et si le retard de diagnostic de cancer, dont on parle beaucoup en ce moment, était pour partie lié au recours massif à la téléconsultation, au détriment de la consultation présentielle et de ce qu’elle implique, normalement, d’examen physique ? Dr Anne Y 

Intérêt limité Le seul intérêt que j’ai trouvé à la téléconsultation a été de m’assurer que tout allait bien 48 heures après une consultation présentielle. Dr Éric F

Hors de question Un patient, ça s’examine. Je n’ai pas choisi ce métier pour être séparée de mes patients par un écran. Sans parler du risque majeur de passer à côté d’un diagnostic… Bref, cette pratique doit rester très, très ponctuelle, pour certaines spécialités, pas pour la médecine générale. Dr Nathalie M

Budget La téléconsultation sans logiciel, en utilisant WhatsApp, a été très pratique. Mais comme cela ne sera plus le cas ensuite, s’il faut encore investir dans un logiciel, je ne sais pas… Dr Fabienne M

Dossier réalisé par Christophe Gattuso

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