Certes, le dépôt de quelque vingt mille amendements, la présence, au sein de l'hémicycle d'élus arrivés pour la première fois et qui ignorent les règles du débats, ainsi qu'un état de surchauffe politique exacerbée, ne laissaient rien présager de bon. Mais la seule question qui vaille porte sur la réalité d'une coalition Renaissance-LR susceptible de former une majorité absolue. Elle semblait à portée de la main jusqu'au moment où M. Pradié et ses amis ont demandé de modifier le projet dans un sens plus favorable aux carrières longues ou commencées à 18 ans. Or le temps pressait tellement que deux articles de la loi seulement, sur 20, ont été examinés. Du coup, l'article 7, celui qui reporte l'âge de départ à 64 ans, n'a même pas été lu.
Leader de la CFDT, Laurent Berger a dénoncé en termes peu amènes la dérive de l'Assemblée nationale, oubliant un peu vite que son opposition viscérale à toute mesure d'âge a anéanti l'espoir de faire voter la réforme. Chacun a mis son grain de sel, ce qui a fait un débat très amer. Les syndicats qui se sont payés, à nos dépens, une crise sociale historique ; les députés qui n'ont respecté aucune discipline ; la Nupes qui a tiré à boulets rouges sur le gouvernement, le RN qui a demandé un référendum. On a parlé d'autre chose, comme le RN, on a tenu des propos indignes, comme le même RN, on a cherché le clash institutionnel, sorte de bombe atomique, comme LFI, et, sous le signe de la liberté le plus haïssable, celle qui consiste à marcher sur le ventre de l'adversaire, on a créé un cirque qui a échappé complètement au bureau de l'Assemblée et, parfois, aux chefs de parti.
Macron tiendra bon.
Il est indiscutable que ce petit désastre instutionnel, qui bafoue la République, n'a pu se produire qu'à cause de la majorité relative du président. Renaissance et LR ont néanmoins réussi trouver un accord sur le texte et la partie était littéralement jouée, jusqu'à ce qu'Aurélien Pradié ait saisi l'occasion de faire entendre sa musique personnelle. On ne lui en voudra pas de vouloir transformer son parti, aux mains des caciques ; on peut croire qu'il est sincère quand il s'intéresse aux carrières longues ; mais du sang neuf sera forcément perdu si LR va vers une scission. Le chef de LR, Éric Ciotti, n'a pas peru de temps pour priver M. Pradié de sa fonction de vice-président du parti, à quoi ses amis répondent que ça ne les empêchera pas de voter contre la réforme, assurant ainsi leur prochain départ. Du coup Ciotti devient le héros de la majorité, et Pradié l'empêcheur de tourner en rond. Mais nulle part ne voit-on poindre à l'horizon un début de réforme.
Là-dessus, les sondages confirment que Macron et Borne ont chuté de trois points chacun et que l'autorité du pouvoir s'est terriblement affaiblie ; comment faire avaler à un peuple une telle couleuvre quand on n'est pas magicien ? Tous les scenarii de l'accouchement aux fers ont été envisagés, autant d'hypothèses désespérées. Mais bon : 49/3 ou dissolution, c'est le choix. Il ne va pas avec un tel contexte d'impopularité. C'est clair, le peuple souhaite le départ du président, ce qui est injuste et non constitutionnel, même si c'est la loi du genre. En même temps, il n'y aucun doute à avoir sur la nécessité d'une réforme des retraites, sur son timing. La réforme, en quelque sorte, a cristallisé les effets de la crise sanitaire, puis ceux de l'inflation et les Français se sont sentis floués avec le sentiment qu'ils n'avaient pas besoin de ça. Il est bien peu probable que Macron retire la réforme et prenne des vacances.