Il y a plusieurs raisons à la pléthore, à la déraison et à l'impossibilité d'un rassemblement. La pandémie n'a guère favorisé la cohérence des démarches ; les ego des candidats ont pris une dimension hypertrophiée qui abolit la logique ; la distance réelle entre l'espoir personnel et une réalité beaucoup moins encourageante ; et surtout le refus de la gauche, sinon de LR, d'ignorer la logique de la Constitution. Celle-ci a prévu le dérèglement qui permet à n'importe qui de se présenter. Le scrutin uninominal à deux tours n'existe que pour empêcher le peuple de choisir au second tour entre plus de deux candidats. Il faut redire ici que la Loi fondamentale est parfaitement adaptée à la situation de 2022.
La fermeté des déclarations, par exemple celles d'Anne Hidalgo, cotée à moins de 5 %, ne suffit pas à masquer son embarras, son désespoir politique et sa peur des conséquences financières d'un score qui ruinerait le PS. Le recours à Christiane Taubira pouvait apparaître comme une planche de salut. L'ancienne ministre de la Justice ne réussit pas, comme on s'en doutait, à réunir les sept candidats de gauche. Du coup, elle se présente à son tour à la faveur d'une « primaire populaire », rejetée par les Mélenchon, les Jadot et les autres, y compris Hidalgo elle-même. Une primaire réunissant 120 000 électeurs, capable de désigner un ou une candidate qui ne l'a pas demandée.
Non seulement Mme Taubira n'a posé aucune passerelle entre le PS, LFI et les Verts, mais elle contribue à la division en se présentant à son tour avec une ferveur élégiaque produite pas son souci des inégalités sociales mais totalement à côté du problème fondamental de la gauche, ses trop nombreux candidats et sa certitude d'aller à un échec retentissant.
Un quart d'heure de gloire
À droite, Valérie Pécresse doit encore prouver qu'elle est éligible au second tour. La présence d'Éric Zemmour, entièrement soutenue par des propos scandaleux, notamment sur les enfants handicapés qu'il souhaite envoyer dans des ghettos, placent Mme Le Pen et Mme Pécresse à environ 16 %, à huit points au moins d'Emmanuel Macron qui, depuis six mois, fait la course en tête. Marine Le Pen croit avoir fait un coup terrible, en allant se promener du côté du Louvre, dans une imitation absurde de la marche d'Emmanuel Macron au soir de sa victoire de 2017. Elle n'est pas à l'abri d'une nouvelle pantomime entre les deux tours. Elle veut gagner grâce à la modération de son discours, qui est celui d'une centriste à peine convaincue de ce qu'elle dit et à la danse du ventre qu'elle accomplit pour les électeurs modérés. Mais elle ne gagnera pas contre Macron.
Les Républicains sont les seuls, avec la République en marche, à avoir compris que leur démarche doit être adaptée à la Constitution. Ils disposent d'un atout : le nombre de leurs élus qui leur permet d'envisager les législatives avec optimisme, alors que le président sortant pourrait être appelé à cohabiter. L'autre atout de LR, c'est que Mme Pécresse est une femme, et une femme à poigne qui ne s'en laisse pas conter. À quelque 85 jours du premier tour, ce sont là les obstacles que le chef de l'État doit aplanir s'il veut obtenir un second mandat. On comprend qu'il préfère, comme adversaire, Marine Le Pen plutôt que Valérie Pécresse. Il semble bien en effet que la cheffe du Rassemblement national cèdera à la tentation de se distinguer par quelque facétie de saltimbanque, de la même manière qu'elle a tout perdu en 2017 en tentant de déstabiliser son interlocuteur.
Est-il permis de croire que, comme dans une tragédie shakespearienne, il y a une fatalité qui conduit les candidats à leur propre défaite ? Valérie Pécresse est la seule candidate crédible en dehors de Macron. Mais à quoi M. Jadot ou M. Mélenchon pensent-ils ? Ou Mme Taubira ? Au fond d'eux-mêmes, ils savent qu'ils n'ont droit, comme tout le monde, qu'à leur quart d'heure de gloire.