Dans cette ambiance délétère qui, en d'autres termes, a empêché la formation d'un front républicain anti-Le Pen, les élections régionales pèse ront finalement sur le résultat des élections générales de 2022. Jusqu'à présent, Xavier Bertrand avait une très bonne chance de l'emporter dans la région qu'il préside actuellement, les Hauts-de-France, puisque, selon les sondages, il devance le Rassemblement national. Mais soudainement le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a décidé de diriger la liste REM dans les Hauts-de-France. Il le fait sur un ton très décidé et jure qu'il donnera du fil à retordre à Marine Le Pen, laquelle commence à nourrir des illusions sur « l'obsession » maladive que le ministre nourrirait contre elle. Mais du point de vue des démocrates et des républicains, M. Dupond-Moretti ne fait que ce que tout le monde devrait faire, à gauche et à droite, c'est-à-dire empêcher Marine Le Pen de remplacer Emmanuel Macron à l'Élysée.
Si on y pense bien, l'irruption de M. Dupond-Moretti dans les régionales pourrait avoir l'inverse du résultat escompté. Il est peu probable que, même derrière son panache blanc, les électeurs des Hauts-de-France changent d'intention de vote juste parce que le ministre entre dans l'arène. Et, s'il parvient à augmenter le score de la REM, ce devrait être davantage au détriment de Xavier Bertrand qu'à celui du RN. Or, si M. Bertrand perd deux ou trois points de l'électorat, il sera sans doute battu par l'extrême droite et, comme il s'y est engagé, il ne sera plus, alors, candidat à la présidence de la République. Ce qui est tout bénéfice pour Emmanuel Macron qui assisterait à la disparition politique d'un candidat dont la cote de popularité est de 16 % dans les sondages d'opinion et menace objectivement le renouvellement du mandat de M. Macron.
Ce qu'ils reprochent à Macron
Il n'est donc pas impossible de penser que, derrière la détermination anti-extrême droite d'Éric Dupond-Moretti, il n'y ait pas seulement la volonté farouche d'en découdre avec Marine Le Pen, ce qui l'honore, mais qu'il y ait aussi l'espoir d'empêcher M. Bertrand d'arriver au second tour, ce qui, pour le président en exercice, serait une affaire autrement plus difficile qu'un tête-à-tête avec Mme Le Pen. À ce raisonnement, il faut apporter une nuance : Xavier Bertrand, comme tant d'autres politiciens de droite, croit bon de tirer à boulets rouges contre M. Macron plutôt que contre son ennemie immédiate, Marine Le Pen. Même s'il n'est plus à LR, il joue le même jeu que ce parti, dominé par un groupe de ténors de la droite infiniment plus hostiles à Macron qu'à Le Pen. M. Bertrand ne reçoit donc que la rétribution qu'il a cherchée implicitement.
Ce nouvel épisode des relations entre LR et la REM montre que les Ciotti, Larcher, Retailleau refusent de pactiser avec le macronisme au nom de l'histoire : ils reprochent à Macron d'avoir volé la présidence de la République à François Fillon. Ce n'est pourtant pas Macron qui a procédé à des manipulations en faveur de son enrichissement personnel ou s'est fait offrir des costumes de luxe d'un prix fabuleux. Le sort de Fillon était scellé dès la fin de 2016 quand tous les ténors de LR sont allés l'acclamer au Trocadéro, alors qu'il avait des démêlés avec la justice, et l'ont adopté comme candidat.
C'était il y a presque cinq ans. Au nom de l'histoire, toujours, LR se prépare délibérément un terrible échec à la présidentielle. Sera-ce suffisant pour que ce parti se ressaisisse enfin, échappe à l'influence de sa propre droite et rejoigne le camp républicain ? Rien n'est sûr. Il est tout de même surprenant, pour tout observateur extérieur, d'assister à cet engouement discret pour l'extrême droite qui paralyse un parti dont le nom est Les Républicains. Il est surprenant que le même parti n'ait pas encore compris que la planète politique a volé en éclats et que la droite, comme la gauche, doit subir une refondation pour retrouver son électorat.