Le ton est donné d’emblée. « Votre nom a été scandé et chahuté un peu partout en France, hier », taquine le modérateur des Contrepoints de la santé à l’adresse de Guillaume Garot. « Moqué, même… », corrige le député socialiste de Mayenne, souriant. Face à lui, trois opposants à sa PPL transpartisane, qui a mis le feu aux poudres avec sa mesure phare visant à réguler l’installation des médecins : la Dr Anna Boctor, présidente du syndicat Jeunes Médecins, la Pr Isabelle Laffont, présidente de la Conférence des doyens de médecine, et Killian L'helgouarc'h, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni).
« Je tiens à saluer l’extrême mobilisation des externes, des internes et des médecins installés », attaque la présidente de Jeunes Médecins. « La manifestation d’hier a été un immense succès qui a réuni entre 8 000 et 10 000 participants, c’est historique ! Il faut continuer jusqu’au retrait de la PPL Garot », assène la jeune pédiatre libérale face au député socialiste. « Le mouvement de grève illimité est aussi massivement suivi. Par plus d’un interne sur deux », avance le chef de file de l’Isni. Qui ne cache pas sa satisfaction de pouvoir « enfin » discuter avec l’élu socialiste dont le nom est devenu un épouvantail.
« Le dialogue existe… mais avec l’ensemble des acteurs du sujet de l’accès aux soins, pas seulement avec les syndicats médicaux ! », se défend le député, rappelant qu’il a conduit des auditions depuis trois ans pour bâtir sa PPL. « Je suis confronté chaque semaine à la détresse des gens qui m’expliquent qu’ils n’ont plus de médecins, généralistes comme spécialistes, ou que les délais d’attente se comptent en semaines, quand ce n’est pas en mois », enchaîne Guillaume Garot. Avant de tenter une première estocade. « Les incitations financières n’ont pas résolu le problème. À un moment donné, admettez que les élus cherchent des solutions nouvelles ».
On ne résout pas une pénurie en voulant la réguler
Killian L'helgouarc'h, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni)
Argument repris à la volée par les jeunes médecins hostiles à la coercition. « Cette détresse des patients, nous y sommes confrontés tous les jours dans notre exercice. Ce que nous voulons trouver, ce sont des réponses efficaces », insiste la Dr Anna Boctor. « Le vrai problème, c’est que nous ne sommes pas assez de médecins sur le territoire. On ne résout pas une pénurie en voulant la réguler », assène Killian L'helgouarc'h.
Mais le député socialiste reste droit dans ses bottes. « La France entière n’est pas un vaste désert médical, ce n’est pas vrai. Et depuis dix ans, les inégalités entre territoires se sont creusées », contre-attaque Guillaume Garot. Le parlementaire en veut pour preuve le dernier atlas de la démographie de l’Ordre des médecins. « Entre 2010 et 2023, la densité médicale a augmenté de près de 27 % dans les Hautes-Alpes, quand, dans le même temps, elle a diminué de 13,5 % dans le Gers », énonce le député PS. « Pour autant, il n’existe pas de territoires où tout va bien, monsieur Garot. Ce n’est pas vrai », riposte la présidente de Jeunes Médecins.

Contrainte contre-productive
Les échanges, certes courtois, tournent au dialogue de sourds entre deux positions irréconciliables. D’un côté, un député qui entend soutenir, vaille que vaille, sa proposition de loi, qui martèle-t-il, ne relève pas de la coercition mais de la régulation. « Il s’agit d’un encadrement de la liberté d’installation des médecins dans seulement 13 % des territoires [les zones correctement pourvues] », assure Guillaume Garot. La liberté d’installation restera maintenue dans les 87 % des territoires diagnostiqués en déshérence.
De l’autre, des représentants de la profession qui exigent le retrait du texte, un très mauvais signal à leurs yeux. « Dès le début de nos études, nous faisons face à différentes formes de coercition, lors du concours d’entrée, ensuite pour le choix des places d’internat », argumente Killian L'helgouarc'h, qui met en avant le mauvais bilan de santé mentale des étudiants en médecine. Plus de six sur dix déclarent avoir subi des épisodes de burn-out, 21 % d’entre eux souffrent de troubles dépressifs… Le message est clair une contrainte supplémentaire serait contre-productive.
Le statut d’assistant territorial réclamé
Côté doyens, la présidente de la Conférence, également opposée à la régulation, préfère mettre en avant deux types de solutions. La création « en urgence » d’un statut d’assistant territorial pour toutes les spécialités médicales ou chirurgicales – incluant la médecine générale – dans les zones sous-denses identifiées par les agences régionales de santé (ARS), en exercice libéral ou en exercice salarié hospitalier. « Une mesure qui est soutenue à la fois par l’Ordre et les syndicats étudiants », rappelle la Pr Laffont. Deuxièmement, les facultés de médecine/santé souhaitent accélérer la « territorialisation de leur formation » par l’augmentation du nombre de stages hors CHU et d’enseignements en dehors des campus hospitalo-universitaires, poursuit-elle. Des pistes qui figurent dans le pacte Bayrou de lutte contre les déserts médicaux.
Pas suffisant pour que le député socialiste retire sa proposition de loi transpartisane. Pour mémoire, le texte reviendra en discussion à l’Assemblée le 6 mai prochain. D’ici là, le mot d’ordre de grève illimitée des syndicats juniors, soutenus par leurs aînés, est maintenu.
Les associations de patients réclament le vote de la PPL Garot
« Nous, associations d’usagers du système de santé, appelons à voter pour » la proposition de loi Garot, clame l’organisation de référence France Assos Santé, qui exige de l’action, et non des invectives. « Bronca chez les syndicats de médecins libéraux et d’étudiants en médecine, qui ont décrété la grève en guise de rétorsion », tacle France Assos Santé, forte du soutien d’une quarantaine d’associations. Outre la régulation à l’installation (article 1), le collectif réclame le vote des autres articles de ce texte dont le rétablissement de la PDS obligatoire et la suppression de la majoration des tarifs pour les patients privés de médecin traitant.
Les associations d’usagers signataires se prononcent par ailleurs en faveur de la mesure annoncée par François Bayrou, à savoir une mission de solidarité obligatoire dans les zones rouges, sous la forme de consultations avancées (jusqu’à deux jours par mois). Pour France Assos Santé, toutes les options sont bonnes à prendre et complémentaires.
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