Le dignitaire musulman est allé vite en besogne. Il peut néanmoins étayer sa position en rappelant que M. Houellebecq ne fait que ressasser des idées qu'il exprime depuis longtemps, qu'il ne se renouvelle guère et que sa prédiction d'un musulman élu un jour président de la République en France ne s'est pas réalisée à ce jour. Cependant, on ne traite pas un écrivain comme on traite un politicien qui cherche à gagner des voix en semant la terreur dans le Landerneau. L'immigration constitue un problème indéniable pour la société française, qui ne saurait être réglé par les tribunaux. Enfin, la réaction du recteur est plus vive que la provocation, car, justement, cela fait des années que Houellebecq répète ses idées sur l'islam et on ne peut pas dire qu'on n'a pas vu venir sa nouvelle bordée.
Victimes de l'extrême droite, les musulmans de France ne veulent pas être les boucs émissaires des conversations de salon que s'offrent les Français dits de souche sans se soucier des conséquences de leurs paroles. Si M. Houellebecq a de l'importance, cela signifie qu'il porte une responsabilité, peut-être plus grande que celle d'hommes ou de femmes politiques. Il n'est pas Marine Le Pen, d'ailleurs plus prudente que lui, et il n'est pas non plus Éric Zemmour. Il est mieux décrit par sa subtilité de « penseur » qui élève le débat vers des hauteurs auxquelles la foule n'a pas accès. Il apporte sa caution littéraire et philosophique. Il ne fait pas des calculs électoraux. Certes, il partage son inquiétude avec ses lecteurs, même si ses prévisions ont eu le temps d'être démenties par la réalité des faits.
Car le président réélu n'est pas musulman. D'ailleurs si un musulman est capable de résoudre le problème des retraites, nous ne devrions pas hésiter à faire appel à ses compétences. D'être musulman ne l'empêcherait pas de prôner le dialogue dans les églises et les synagogues. Je prends les paris : un président musulman aurait pour première préoccupation de prouver sa loyauté à la France, il irait même jusqu'à se convertir ! Bref, le pire n'est jamais sûr. Et enfin, dans la prédiction du choix par les Français d'un président musulman, il y a une terrible contradiction : une majorité absolue formée de racistes ? C'est tout simplement absurde. Ceux qui ne disent rien sont souvent des racistes, contents de bénéficier du secret du vote. Ils n'iraient pas choisir le meilleur des hommes quand ils ont l'occasion de le récuser.
Les Ukrainiens nous donnent bonne conscience
L'immigration et le racisme sont depuis longtemps entrés en interaction, avec des conséquences parfois imprévues. Nous avons accueilli les Ukrainiens avec une générosité dont nous pouvons être fiers. Ils ont eu le gîte et le couvert, ont séjourné dans des familles, ont trouvé facilement un emploi. Mais pourquoi les musulmans en particulier et les Africains en général ne bénéficient-ils pas du même traitement ? Parce qu'ils ne nous ressemblent pas. Et, bien que les Ukrainiens soient des chrétiens orthodoxes plus proches de leurs ennemis russes que de nous, nous avons avec eux, d'emblée, des affinités culturelles que nous n'avons pas avec leurs prédécesseurs. Ces chrétiens de l'Est nous donnent bonne conscience.
Le diable est dans les détails. Nous voilà de nouveau sur la pente décidément très glissante du racisme par sélection. Il y aurait de bons migrants et des mauvais ; des migrants qui ne méritent pas leur sort et des migrants pour qui c'est une fatalité. Des migrants coupables et des migrants innocents. Dîtes-le, M. Houellebecq, dîtes que c'est infiniment plus compliqué qu'il n'y paraît. Dîtes que, parfois, quand vous pensez aux Ukrainiens, vous vous sentez coupable vis-à-vis des musulmans.