Pour beaucoup, la seule issue à la médecine générale est une retraite bien méritée (mais souvent tardive). Et pourtant, bien des généralistes changent de spécialité ou s’orientent vers d’autres formes d’exercice : protection maternelle et infantile (PMI), médecine scolaire, médecine du travail… Petits itinéraires de praticiens qui ont pris les chemins de traverse.
Deux tiers des salariés estiment qu’ils changeront au moins trois fois de métier au cours de leur vie professionnelle. Tel était le résultat d’un sondage Ifop paru en 2017, qui traduit bien l’esprit du temps. Dans ce monde professionnel où les valeurs de flexibilité et de résilience prennent le pas sur celles de stabilité et de pérennité, les généralistes seront-ils les derniers Gaulois réfractaires au changement, accrochés à leur stéthoscope comme des moules à leur rocher ? Rien n’est moins sûr, car eux aussi peuvent avoir envie de mobilité. D’ailleurs, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les opportunités de reconversion qui s’offrent à eux ne manquent pas.
Parmi les voies les plus évidentes, on trouve la médecine scolaire. Combien sont-ils chaque année à bifurquer de la pratique de la médecine générale libérale vers l’exercice dans les écoles, collèges et lycées de France et de Navarre ? « Difficile à dire, nous sommes un petit corps très dispersé et avons très peu de statistiques », répond le Dr Marianne Barré, secrétaire générale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU-UNSA-Education). Mais la militante affirme tout de même qu’aux côtés des jeunes diplômés et des retraités, les généralistes reconvertis constituent l’un des principaux profils alimentant le (trop faible) contingent de 800 à 900 médecins qui officient en milieu scolaire.
Autre échappatoire possible pour les généralistes lassés du cabinet : la PMI, même si les chiffres officiels manquent là aussi. Les anciens généralistes constituent un profil fréquent parmi leurs collègues de la protection maternelle et infantile, observe le Dr Pierre Suesser, co-président du Syndicat national des médecins de PMI (SNMPMI). « Pas mal de praticiens en deuxième partie de carrière ont fait l’expérience de la médecine libérale et en sont un peu fatigués parce que c’est une médecine qu’on exerce de façon indépendante et pour tout dire un peu solitaire », remarque-t-il.
Une procédure « assez simple »
Mais les généralistes qui souhaitent se reconvertir ne doivent pas borner leur horizon à ce qu’il est possible de faire à l’intérieur des limites de leur diplôme. Il est en effet possible de prendre un virage plus radical, en changeant carrément de spécialité. « Il existe une voie encore peu connue et qui paraît souvent insurmontable, alors qu’elle est en réalité assez simple : la procédure de qualification », explique le Pr Robert Nicodème, président de la section “formation et compétences médicales” au Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom).
Selon les chiffres d’un rapport de 2017 sur les travaux des commissions de qualification chargées de cette procédure, 2310 médecins ont obtenu un avis de ces commissions leur permettant de changer de spécialité entre 2013 et 2016. Parmi eux, 1955 exerçaient auparavant la médecine générale. Des chiffres dont il faut exclure les 383 généralistes qui ont simplement demandé à être reconnus comme spécialistes en médecine générale, car leur diplôme était antérieur aux dernières réformes instaurant la médecine générale comme spécialité à part entière. Au final, 1572 omnipraticiens ont demandé à changer de discipline, soit 82 % des médecins demandeurs.
La médecine générale, qui regroupe un peu moins de la moitié des médecins français, est donc très largement surreprésentée parmi ceux qui cherchent à changer de spécialité. Les choix des médecins généralistes à la recherche de nouveaux horizons se focalisent sur un petit nombre de spécialités. Quatre d’entre elles concentrent 62 % des demandes : il s’agit de la médecine du travail (337 demandes), la gériatrie (244 demandes), la psychiatrie (234 demandes) ainsi que la médecine physique et de réadaptation (MPR, 166 demandes).
Suivez le guide !
Reste la question du mode d’emploi : comment fait-on pour changer de voie quand on est généraliste ? Une fois passées les questions matérielles de succession au cabinet, tout dépend de l’orientation qu’on a choisie. Concernant la PMI, par exemple, les choses sont assez simples. « Pour les contractuels, le recrutement se fait directement par voie d’entretien », explique Pierre Suesser. « Et pour ceux qui veulent devenir titulaires, il faut passer le concours de médecin territorial, ce qui permet d’être sur ce qu’on appelle la liste d’aptitude et de postuler pour être recruté comme fonctionnaire. »
Pour la médecine scolaire, les démarches sont assez similaires, à une différence près : les fonctionnaires fraîchement émoulus doivent repasser sur les bancs de l’école. « Il y a un an de formation en alternance après le concours », avertit Marianne Barré. Celle-ci précise que plus le nouveau titulaire aura passé de temps comme contractuel ou vacataire au sein de l’Éducation nationale avant d’être admis parmi les fonctionnaires, plus la période de cours théoriques qu’il aura à effectuer sera courte.
Quant à la procédure visant à changer de spécialité, elle est sur le papier assez simple : le médecin doit télécharger un dossier sur le site du Cnom, le remplir et y joindre les justificatifs nécessaires : diplômes, lettres de recommandation, DU et DIU obtenus, etc. Le tout doit être envoyé au Conseil départemental de l’Ordre des médecins auquel est rattaché le praticien. Le candidat doit ensuite attendre que son cas soit examiné par la commission de qualification de la spécialité à laquelle il aspire. Le plus important est bien sûr de pouvoir justifier d’une formation et d’une expérience adéquates dans la spécialité demandée (voir interview du Pr Jean-François Gehanno).
La procédure de première instance dure au maximum un an, et il est possible de faire appel, pour une deuxième instance avec délai similaire. « Donc au pire, l’ensemble dure deux ans », résume Robert Nicodème. Dans son rapport, le responsable ordinal signale que les commissions sont plutôt enclines à traiter les dossiers de manière favorable : le taux d’acceptation en première instance était de 72 % entre 2009 et 2016, et de 38 % en appel.