On l’avait prévenue avant sa prise de fonctions : tout défile aux urgences. Ça ne pourra pas être pire que la réanimation, s’était-elle dit. « Je m’attendais aux gens qui ont trop bu. Pas à ça », commente Rose*, qui essuie chaque jour ou presque des insultes, des menaces.
Rose est hôtesse d’accueil au service d’urgences d’un CHU dans l’Ouest de la France. Cet été, elle a porté plainte après avoir été menacée de mort durant son service. Par peur des représailles, elle préfère taire son nom. L’aide-soignante accepte de témoigner pour attirer l’attention des politiques : « L’insécurité, ce n’est pas qu’à Marseille. On se fait agresser tous les jours. »
« Ici, on refuse d’attendre »
En réanimation, Rose voyait des corps fracassés, des vies brisées. Au SAU, il y a bien sûr les urgences vitales. Mais il y a aussi toutes ces personnes qui arrivent et exigent une radio, un médicament, une hospitalisation. Sans raison valable, et sans passage par la case médecin traitant. Rose dit que c’est tous les jours. Elle cite des exemples.
« L’autre fois, une jeune femme a voulu qu’on lui retire ses faux ongles car la colle était trop forte. Quand je lui ai conseillé un généraliste, elle a ri. L’an passé, un monsieur arrivé de Paris en ambulance avec sa mère a exigé qu’elle soit hospitalisée ici, sans rendez-vous. Les médecins étaient fous, d’autant qu’à Paris la dame était bien prise en charge. Quand il a compris qu’ils devaient partir, le monsieur a exigé une ambulance. Il disait qu’il ne pouvait pas payer le train. Il a fait le pied de guerre, et il a eu son ambulance jusqu’à Paris. C’est une honte. On vient ici car c’est gratuit. Pour une piqûre de moustique, un mal de gorge. Et on refuse d’attendre. »
Coups de tête dans les vitres
Cet été, l’ambiance a dégénéré un soir dans le service. Pas d’arme comme à Marseille, mais des menaces verbales. Le patient, en liberté conditionnelle, a voulu passer devant tout le monde. Le ton est monté, il a appelé du renfort avec son portable. Cinq jeunes sont arrivés.
Les hôtesses d’accueil leur ont bloqué l’accès en fermant les portes des urgences. Coups de tête dans les vitres. « Ils disaient : "on va vous tuer". Ils ont vu nos noms sur les badges. » Rose a appelé la police. Le lendemain, elle a déposé plainte avec une de ses collègues. Le CHU a porté plainte aussi.
« On prend des bêtabloquants le soir »
Rose voudrait qu’un tabou tombe, que les langues se délient. « J’aime mon métier, je n’ai rien à reprocher à l’institution. Mais ce qui se passe à l’hôpital n’est pas normal. Il faut le dire. Raconter que les gens envoyés par les associations ou le SAMU social passent devant ceux qui ont travaillé toute une vie, parce qu’ils nous menacent et qu’on a peur. Dire que l’on pleure parfois aux toilettes. Ou qu’on prend des bêtabloquants le soir à la maison ». Le fils de Rose a patienté six semaines avant d’être opéré d’une fracture de la mâchoire. Il avait emprunté le parcours de soins classique. Elle-même a attendu trois mois pour une mammographie.
« Je ne suis pas raciste, reprend l’aide-soignante. Mais j’en ai marre de ces gens qui ne nous aiment pas, et qui estiment que tout leur est dû parce que "c’est la France". C’est ce qu’ils nous disent, à chaque fois qu’on essaie de les adresser vers un généraliste ».
Les généralistes de la maison médicale de garde adossée au CHU, justement, font grise mine. L’un d’eux a déboulé aux urgences récemment. En colère. Il n’avait pas vu un patient de la soirée, et a accusé l’hôpital de ne pas jouer le jeu pour se faire de l’argent, raconte l’aide-soignante. Les hospitaliers, selon Rose, sont écartelés. « Si on dit qu’il faut voir un généraliste ou la PASS [permanence d’accès aux soins de santé, NDLR], ça se passe mal. Alors parfois les infirmières cèdent, et les patients les plus menaçants passent en premier, devant les vraies urgences. »
Bobologie
Depuis peu, dans ce CHU, tous les patients qui franchissent la porte des urgences ont droit à un dossier de pré-admission. La tentative pour désengorger les urgences s’avère contre productive, selon Rose. Une fois les étiquettes à leur nom en main, explique-t-elle, difficile de faire entendre à certains que pré-admission ne signifie pas admission automatique. Et les urgences se voient contraintes de prendre en charge, sous la pression et la menace, des cas de bobologie qui jusqu’à il y a peu étaient adressés ailleurs.
« À côté des brancards, l’hôpital a créé un circuit debout pour les fausses urgences. Le bouche à oreille a marché très vite, glisse Rose. Et on voit arriver des gens, souvent les mêmes, qui viennent là comme s’il s’agissait d’un cabinet médical lambda. Ce n’est vraiment pas normal, tout le monde le sait, mais personne ne dit rien ».
* Prénom d’emprunt
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