Avec la volonté de relancer un numéro unique d’urgence, la guerre des rouges et des blancs est-elle relancée ? Le 21 octobre, une dizaine d’organisations et de sociétés savantes du monde médical ont adressé au Premier ministre Sébastien Lecornu une lettre prenant fortement position contre les orientations portées par le rapport Beauvau de la sécurité civile, présenté par le ministère de l’Intérieur le mois dernier.
Issu de douze mois de concertations pour redéfinir un modèle qui s’essouffle, ce rapport propose de revoir les règles du jeu de la Sécurité civile, dont la mission, diverse, porte sur le secours aux personnes, les accidents, les incendies, les catastrophes, etc.
Parmi les mesures exposées dans le rapport, le gouvernement souhaite généraliser les plateformes communes de traitement des alertes (15-18-112) sur l'ensemble du territoire, afin « d'unifier la mission de secours et soins d'urgences aux personnes ». Autrement dit remettre au goût du jour le numéro unique combattu de longue date par les médecins urgentistes et plébiscités de l’autre côté par les pompiers.
Une trentaine d’associations, syndicats et sociétés savantes médicales ont signé la lettre au nouveau locataire de Matignon. Parmi eux, on trouve les présidents de Samu-Urgences de France, de la Fédération hospitalière de France (FHF), de la Conférence des doyennes et des doyens, de l’Ordre des médecins.
Dans leur missive, les mécontents jugent que l’ensemble des orientations émanant du ministère de l’Intérieur, élaborées « sans concertation avec les soignants », risquent de fragiliser la régulation médicale en affaiblissant le rôle des SAMU et des médecins régulateurs. Elles pourraient aussi déstabiliser les organisations territoriales et compromettre l’attractivité des métiers d’urgentiste. « Certaines propositions, en particulier celles qui visent à étendre les prérogatives opérationnelles des Services d’Incendie et de Secours (SIS) au détriment de la régulation médicale assurée par les SAMU-SAS (Services d’Accès aux Soins), sont contraires à la loi et apparaissent inacceptables », appuie Samu-Urgences de France (Sudf) dans un argumentaire également envoyé à Sébastien Lecornu.
Modèle « daté »
S’opposant « à tout article du projet de loi qui appellerait à un modèle imposé de colocalisation physique des services et /ou l’instauration d’un numéro unique d’urgence », Samu-Urgences de France et à travers lui son président, le Dr Marc Noizet, balaye l’argument du ministère de l’Intérieur selon lequel les acteurs de la médecine de secours se parleraient mieux s’ils étaient regroupés sur un même site. « Avec le numérique, on se parle très bien à distance ! » jette l’urgentiste. Pour les médecins, la colocation physique constitue un « modèle daté » face aux technologies actuelles, permettant une coordination dématérialisée « qui permet de communiquer entre les SDIS, les Samu, les Smur et les services d’urgences » comme cela se fait déjà en Haute-Marne ou à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).
Samu-Urgences de France insiste : « L’obsession d’une centralisation physique » des forces de la sécurité civile est non seulement « obsolète » mais aussi « irréaliste dans les zones urbaines denses ».
7 à 8 millions pour créer une nouvelle plateforme colocalisée
Autre contre-argument des urgentistes : l’important effort financier d’un tel regroupement sur des plateformes communes (généralement au sein des SIS, les services d’incendie et de secours) en cas de création d’un numéro unique d’urgence, idée « inefficace, couteu[se] » et qui « ralentirait la prise en charge des patients ».
L’essor des services d’accès aux soins qui accueille de nouveaux professionnels de santé réclame de pousser les murs. Selon Samu-Urgences de France, la généralisation des plateformes communes « nécessiterait un surcoût de reconstruction évalué à 5 à 10 millions d’euros pour chaque département ».
Pour autant, le président de SUdF ne ferme pas la porte à une réforme de l’aide médicale urgente (AMU) : « Nous ne sommes pas contre les plateformes colocalisées, mais contre un modèle unique, tempère le Dr Noizet. Ce dispositif fonctionne à certains endroits et a permis de sauver certaines situations périlleuses, mais mais il ne fonctionne pas à d’autres. »
Ce débat autour du numéro unique d’urgence et du regroupement des forces agite le monde médical depuis l’affaire Musenga, du nom de cette patiente décédée au CHU de Strasbourg en 2018 à cause d’une défaillance de prise en charge de la part d’une assistante de régulation médicale. S’en est suivi le vote de la loi Matras demandant à terme à instituer le numéro unique avec l’objectif de décharger les services d’incendie et de secours sursollicités dans le domaine sanitaire.
Les recommandations de SuDF pour l’aide médicale urgente
La revendication principale de SUdF est que l’organisation médicale des secours reste au centre de l’organisation des secours préhospitaliers. Les urgentistes refusent en effet que les SIS soient chargés de la gestion opérationnelle des secours, ce qui serait contraire au code de la santé publique. Contrairement aux pompiers, les urgentistes bénéficient d’une expertise et d’un rôle de conseil qui peuvent éviter l’envoi d’une ambulance ou le recours à une prise en charge hospitalière à tout-va, soit des économies à la clef, argumente SudF. Le Dr Noizet met en avant l’« expertise médicale spécialisée » de ses troupes, ainsi que le secret médical et l’indépendance professionnelle sur lesquels repose la régulation médicale. Son message est clair : pas question d’y toucher.
Classement mondial Newsweek des hôpitaux : comment s’en sortent les établissements français ?
Au procès Péchier, analyse de deux empoisonnements « machiavéliques »
L'hôpital ophtalmologique des 15-20 va exposer des documents royaux d'une valeur inestimable
Les syndicats de l'AP-HP appellent à préparer une grève contre le plan d’économies de Bayrou