LE QUOTIDIEN : Épuisés par leur charge de travail à l’hôpital d’Agen, les urgentistes ont été assignés par l’ARS après avoir refusé de faire des heures supplémentaires. Quel est le contexte de votre colère ?
Dr Laurent MAILLARD : Le moral est bas dans notre service d’urgences qui compte 25 médecins équivalents temps plein, mais qui manque d’attractivité ; il nous manque 6 ETP. Nous alertons pourtant sur cette situation depuis des mois. Contraindre des médecins à travailler après avoir réalisé plus de 5 000 heures supplémentaires en quatre mois pose question sur nos conditions actuelles d’exercice dans un mode constamment dégradé – pas seulement l’été - et sur l’avenir de nos organisations ! Certains praticiens ont dû enchaîner plus de 80 heures hebdomadaires de travail clinique, afin de compenser les fermetures ponctuelles des urgences de la clinique Esquirol Saint-Hilaire, d’Auch et de Moissac, et de sécuriser au mieux la prise en charge des patients.
“Certains praticiens ont dû enchaîner plus de 80 heures hebdomadaires de travail clinique
Le 18 août 2025, le tableau de service n’avait plus de praticiens volontaires pour exercer dans des conditions devenues dangereuses. Le 26 août, à l’initiative de l’agence régionale de santé, une réunion a été organisée avec la direction de l’hôpital. Des projets ont été évoqués : restructuration architecturale, attractivité pour les jeunes médecins, sécurisation des conditions de travail. Mais les réponses, bien que volontaristes du côté de l’ARS, contrastaient fortement avec la posture floue et attentiste de la direction hospitalière également présente.
Ce double discours a laissé les équipes médicales perplexes et fortement démotivées. Pire, alors que nous avions un accord depuis quatre ou cinq ans pour doubler la rémunération de nos heures supplémentaires durant l’été et les vacances de Noël, la réglementation a changé et a diminué ces montants. Cela a été la goutte d’eau.
La direction de l’hôpital est-elle sourde à vos revendications ?
La direction de l’hôpital ne fonctionne qu’à court terme, avec des moyens dégradés et nous tire vers le bas. Or, notre région manque d’attractivité : nous bénéficions seulement d’une cinquantaine de nouveaux médecins par an. En conséquence, il faut se donner de vrais moyens pour être en mesure de les attirer et de les fidéliser.
Je vous donne une illustration de notre quotidien qui ne nous permet jamais de faire de pause dans notre pratique. Récemment, il m’a fallu trois heures pour faire hospitaliser un jeune garçon de huit ans. Plusieurs hôpitaux dont ceux de Toulouse, Bayonne, Montpellier se sont renvoyé la balle pour cette prise en charge qui a finalement pu avoir lieu à Toulouse.
Quelles solutions proposez-vous ?
Nous souhaitons remettre à plat notre projet de service avec l’ARS pour améliorer notre attractivité et attirer des jeunes médecins. Car si l’on souhaite construire l’avenir, il faut déjà parvenir à sécuriser les services d’urgences des établissements de recours via un plateau technique 24 heures sur 24. En complément, nous devrons réguler H24 et donc renforcer nos Samu, ce qui permettra d’adresser certains patients sur d’autres sites.
Enfin, nous demandons des engagements et des décisions rapides de l’ARS afin de structurer les procédures pour réorienter nos patients vers l’aval. Par exemple, les patients de plus de 75 ans n’ont pas tous besoin de passer par les urgences. Il n’est pas possible que nos urgentistes se battent avec les spécialistes pour trouver des lits pour les patients. Je le redis : cette situation n’attire pas les jeunes recrues.
Primes, renforts, formation : le patron de l’ARS explique sa stratégie
Joint par Le Quotidien, le patron de l’ARS Aquitaine affiche son volontarisme pour sortir de la crise dans un contexte d’épuisement des équipes aux urgences à Agen. Le mécontentement des urgentistes après l’arrêt du doublement des rémunérations de temps de travail additionnel (TTA) cet été ? « Je peux comprendre le désarroi des urgentistes qui ont travaillé plus cet été pour gagner moins », déplore Benoît Elleboode, directeur général de l’ARS, qui a cherché à apaiser les tensions depuis deux semaines avec des mesures concrètes. Sa première décision a été de financer et valoriser la ligne de Smur de nuit de Nérac via une prime d’exercice territorial ou de solidarité territoriale. Le versement de cette enveloppe de 150 000 euros est rétroactif sur le quadrimestre depuis mai jusqu’en août et sera renouvelé jusqu’en décembre.
Autre avancée : le CH Agen-Nérac devant faire face à un afflux de patients issus du département limitrophe du Gers bénéficie d’un assistant de régulation médicale supplémentaire. Les urgentistes d’Agen qui travaillent sur cette ligne auront une prime de mission d’intérêt général équivalent au montant d’une prime de solidarité territoriale. Au cas où le service d’urgence de la clinique Esquirol Saint-Hilaire (Elsan) fermerait de nouveau ses portes, l’hôpital recevra l’assistance d’une aide-soignante, d’une infirmière et d’un médecin régulateur.
Un volet formation doit permettre de redonner envie aux jeunes urgentistes de venir exercer, par exemple sur la médecine de premier secours ou sur l’aide aux victimes dans le cadre de la médecine légale. Seront favorisées parallèlement les réorientations professionnelles vers le métier d’urgentiste pour les médecins déjà en exercice. Enfin, l’ARS souhaite à terme mettre en place des antennes d’urgence afin de mieux répartir les urgentistes, ressource rare.
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