Il n’est pas encore venu le temps où praticiens et personnels hospitaliers pourront se targuer d’une santé mentale à toute épreuve. Une nouvelle enquête de l’Observatoire Odoxa-MNH* sur l’état de santé des soignants et des personnels hospitaliers illustre, chiffres à l’appui, le blues des blouses blanches de l’hôpital public et leurs difficultés à se maintenir en bonne forme dans leur environnement professionnel.
Premier enseignement : presque six praticiens hospitaliers sur dix (58 %) déclarent avoir été affectés par un problème de santé mentale (dépression, burn-out, pensées suicidaires, etc.) au cours des dernières années. Dans le détail, la santé mentale des médecins s’est même davantage dégradée que celle des infirmiers (56 %), des aides-soignantes (55 %) et surtout de l'ensemble des Français (41 %). « Sur ce sujet, il existe un réel déni chez les soignants, commente Angèle Malâtre-Lansac, déléguée générale de l’Alliance pour la santé mentale, association qui œuvre à la promotion de la santé mentale pour tous. La moitié de la population ne s’intéresse pas aux recours aux soins en santé mentale mais je me demande si cela n’est pas encore pire chez les professionnels de santé hospitaliers. » En 2022, ce malaise s’est traduit de façon concrète par les 18,1 jours d’absence pour raisons de santé dans la fonction publique hospitalière, un chiffre supérieur à celui des collectivités locales (17,1) et des services de l’État (10,2).
Alcool, tabac, médicaments : le trio infernal
Au-delà de la santé mentale, l’enquête révèle que l’ensemble des indicateurs de santé publique (sommeil, nutrition, addictions, etc.) sont particulièrement détériorés à l’hôpital. Contrairement à ce que l’on peut attendre, les soignants ne sont certainement pas « des cordonniers mieux chaussés », selon les sondeurs.
En général, un paramédical ou un médecin sur deux (54 %) déclare des comportements nocifs. « Au moins une fois par semaine », 35 % boivent de l’alcool, 24 % fument du tabac et 16 % prennent des tranquillisants ou des psychotropes. Les hospitaliers sont également plus nombreux que les Français à consommer toutes les semaines (89 % vs 78 %) des produits gras, sucrés ou salés.
La fragilité des professionnels du soin s’exprime également par leur propension à tomber davantage malade que la population générale. En dehors de maladies chroniques (asthme, diabète, etc.) ou d’ALD, 46 % d’entre eux disent avoir été souffrants au cours des trois derniers mois. C’est 19 points de plus que les autres actifs. D’ailleurs, 22 % des médecins, infirmières et aides-soignants s’estiment en mauvaise santé, soit 7 points de plus que la moyenne nationale.
Les médecins plus heureux au travail
Cet état de fait peut en partie s’expliquer par les conditions de travail difficiles des blouses blanches. Ainsi, 56 % des sondés expliquent avoir vécu au moins une situation de violence à l’hôpital. C’est 18 points de plus que les autres Français dans la vie active (38 %).
Dans le milieu sanitaire, ils sont également plus nombreux à faire face à l’incivilité (45 % vs 30 %) voire à l’agressivité physique (31 % vs 27 %) de leurs patients que les autres actifs confrontés à leurs clients ou leurs fournisseurs. Plus stressés, les soignants sondés sont nettement moins satisfaits de leur équilibre vie professionnelle/vie personnelle que les autres personnes en emploi (54 % vs 75 %). Fait notable, les médecins sont majoritaires (54 %) à déclarer un ressenti négatif au sujet de leur équilibre général de vie, quand infirmières et aides-soignantes sont respectivement 45 % et 46 % à exprimer ce mécontentement. À l’inverse, trois Français sur quatre affichent leur satisfaction.
Dernier pourcentage significatif : les hospitaliers s’avèrent moins investis que leurs patients en termes de prévention. Seules 53 % des soignantes ont déjà effectué un examen de dépistage du cancer du sein contre 67 % des femmes en population générale.
Dans ce contexte professionnel assez sombre, l’enquête dessine une éclaircie : si les hospitaliers sont toujours proportionnellement moins heureux au travail que les autres salariés (64 % de satisfaits vs 77 %), leur état d’esprit s’améliore nettement après des années de dégradation (+ 10 points en deux ans et + 26 points en quatre ans).
Traiter le fond du problème
La réalité rapportée par ce baromètre interroge sur la manière d’aider les soignants non seulement à aller mieux, mais aussi à davantage prendre soin d’eux. La « mutation générationnelle » qui s’opère en matière de ressources humaines change la donne au quotidien, analyse Matthieu Girier, ancien DG d’hôpital désormais expert RH à l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap).
Les directions hospitalières confirment que l’absentéisme ne signifie plus « une indisponibilité de la main-d’œuvre » mais le signe de la bonne ou de la mauvaise santé d’un collectif hospitalier. D’où l’obligation de traiter le fond du problème, à savoir l’amélioration des conditions de travail au regard de la pénibilité propre au secteur (travail de nuit, plage horaire de douze heures consécutives, gardes et astreintes pour les médecins, etc.).
L’absentéisme n’est plus une indisponibilité de la main-d’œuvre, mais le signe de la bonne ou de la mauvaise santé du collectif hospitalier
Matthieu Girier, Anap
Autre solution : insérer dans la formation initiale des soignants davantage de clés pour « tenir » à l’hôpital. C’est le sens d’une expérimentation enclenchée en septembre et soutenue par la MNH dans trois instituts de formation en soins infirmiers à Bobigny, Cherbourg et au Rouvray. Dans ces Ifsi, les étudiants apprennent la gestion du stress, la communication et le travail en équipe. Afin d’arriver à l’hôpital mieux armés qu’aujourd’hui.
* Enquête réalisée par Odoxa pour la MNH et Le Figaro Santé, avec le concours scientifique de la Chaire Santé de Sciences Po, auprès de 1 005 Français interrogés par Internet du 2 au 3 octobre 2024 et auprès de 1 541 professionnels de santé (médecins, infirmiers, aides-soignantes) exerçant en hôpital public, interrogés par Internet du 30 septembre au 14 octobre 2024. La MNH est actionnaire du Quotidien.
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