Depuis 200 ans, des vaccins sont produits. Et depuis 200 ans, certaines personnes hésitent à se faire vacciner… C’est bien sûr le cas avec les vaccins contre le SARS-CoV-2. L’OMS définit l’« hésitation face à la vaccination » comme le fait de retarder ou de refuser une vaccination sûre malgré sa disponibilité et distingue une « hésitation à la vaccination » en général et une « hésitation à un vaccin précis ». Pour expliquer ce problème complexe, plusieurs facteurs entrent en jeu (1) : certains démographiques (genre, religion, niveau socio-économique…), d’autres concernent les effets secondaires immédiats ou à long terme, la confiance dans les soignants, les industries pharmaceutiques, les politiques de santé publique, les médias… Avec l’accès facilité aux réseaux sociaux, la pandémie Covid a d'ailleurs pris une nouvelle dimension : celle de la désinformation et des théories complotistes.
Pour lutter contre l’hésitation vaccinale et éviter de stigmatiser les non-vaccinés qui ne sont pas à eux seuls responsables de la pandémie, différentes approches ont été tentées : persuasion, incitation ou coercition. Aucune d’entre elles n’a fait formellement la preuve de son efficacité dans le contexte de la pandémie actuelle.
Dans une revue sur les modes de persuasion possible (2), le Dr Mitchell Liester (Université du Colorado) détaille deux approches : l’éducation et la persuasion psychologique. Avant toute chose, il précise que ces démarches doivent être abordées avec humilité, flexibilité et ouverture d’esprit car les données de la science sur le Covid sont énormes, parfois contradictoires et souvent changeantes. Autre chose à garder en tête, selon lui : impossible de faire table rase des complications possibles liées au vaccin, car anaphylaxie, thrombo-embolie ou myocardites existent et nier leur survenue ne permet pas d’engager un dialogue constructif.
Un processus long
L’éducation du patient « hésitant vaccinal » passe le plus souvent par plusieurs étapes. Afin de mieux sensibiliser, le Dr Liester conseille une approche participative en laissant parler le patient et en illustrant les données de la science par des exemples personnels pris dans sa patientèle. La persuasion psychologique s’adresse principalement aux patients qui expriment des émotions vives - principalement de la peur ou de la colère – lorsque la question de la vaccination est abordée. Le plus souvent, explique le psychiatre américain, il s’agira d’une projection involontaire de leurs sentiments vis-à-vis de la maladie elle-même et qui est dirigée vers les scientifiques ou les autorités sanitaires. Il faut du temps de consultation pour pouvoir aborder ces sujets, et mettre à plat les vraies raisons qui poussent à refuser le vaccin.
Compte tenu de cette contrainte temporelle, la piste de l’incitation peut être tentante. Pour le Covid, elle a de fait été proposée dans plusieurs pays : une loterie avec possibilité de gagner plus de 1,5 million de dollars dans 10 États des États-Unis, des coupons de nourriture, des jours de congé, un rabais sur l’assurance santé ont aussi été proposés dans ce pays. D’autres États ont été plus originaux : des heures de crèche gratuites en Australie, cinq voitures à gagner par semaine pour les Moscovites, des tickets pour le Mondial de foot en Grande-Bretagne, des vaches aux Philippines, un verre de bière en Israël, des trajets Uber au Liban… Mais pour quels résultats ? Des études menées aux États-Unis et en Allemagne ont montré que ces incitations n’ont pas eu d’effet chez les « hésitants », alors que des personnes qui allaient se faire vacciner qui ont profité de l’effet d’aubaine.
Reste la coercition. Elle a déjà été utilisée pour augmenter les taux de vaccination, comme le détaillait le Dr Johan Bester en 2015 (3). En France, on peut prendre l’exemple de la vaccination contre l’hépatite B pour les soignants ou des onze vaccins pour enfants. Fin 2021, plus d’une soixantaine de pays ont rendu le vaccin contre le Covid obligatoire pour des populations particulières : par exemple les plus de 60 ans en Russie, les soignants et des personnes qui travaillent dans le secteur public en République tchèque ou au Danemark, ou les voyageurs dans de très nombreux pays. Les personnes qui refusent de se soumettre à l’obligation peuvent être pénalisées financièrement : jusqu’à 10 000 $ au Canada, jusqu’à 14 000 $ aux États-Unis et 66 600 $ en Australie. Des peines de prison sont même parfois prévues pour les récidivistes.
Quel effet sur la vaccination ? Il est net pour l’obligation vaccinale mais reste à démontrer pour les pénalités. De plus en plus, les restrictions d’accès des non-vaccinés se multiplient, comme en France. Mais interdire complètement l’accès à certains lieux ou certaines professions aux non-vaccinés pourrait se révéler contre-productif avec, d’une part, la multiplication des faux passes et d’autre part, une tendance majorée au « complotisme » de personnes qui voient dans les interdictions un signe d’autoritarisme sanitaire.
(1) Understanding vaccine hesitancy around vaccines and vaccination from a global perspective: a systematic review of published literature, 2007–2012. Larson, Heidi J., et coll.
(2) A review of the use of persuasion and coercion to overcome COVID-19 vaccine hesitancy
. Liester M. Journal of PeerScientist 4(2): e1000037.
(3) Vaccine Refusal and Trust: The Trouble With Coercion and Education and Suggestions for a Cure : Bester J.