INTRODUCTION
La notion de grossesse tardive a évolué avec le temps. En 1958, les femmes de 35 ans et plus (elderly gravidas des articles anglo-saxons) étaient considérées comme des gestantes âgées par la Fédération internationale de gynécologie obstétrique (Figo). Avec le recul de l'âge de la maternité, ce terme (et celui de grossesse tardive) s'est adressé aux femmes de 40 ans et plus.
Une nouvelle expression a été récemment créée pour définir les grossesses après 45 ans, pour lesquelles on parle désormais d'âge maternel très avancé (very advanced maternal age) et de grossesse ultra-tardive. Le regrettable « grossesse gériatrique » volontiers utilisé par les médias n’est jamais utilisé par les médecins.
Le profil socio-économique des femmes présentant une grossesse à 40 ans et au-delà a aussi changé progressivement, les grandes multipares provenant de populations défavorisées ayant fait place aux nullipares de bon niveau socio-économique.
Le désir de grossesse à 40 ans et au-delà est en effet devenu un réel phénomène de société, dans la plupart des pays industrialisés, le don d’ovocyte, l’accueil d’embryon et plus récemment l’autoconservation ovocytaire permettant désormais ces grossesses tardives.
Ainsi, les grossesses à la quarantaine se sont banalisées, les mères de 40 ans et plus représentant 6,63 % des naissances en 2023 contre 1,1 % en 1981. Les grossesses après 45 ans voire 50 ans, essentiellement obtenues après don d’ovocyte sont elles aussi en augmentation. D’après les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), en 2023 sur les 677 803 naissances en France, 44 940 provenaient de femmes de 40 ans et plus, 3 560 de femmes de 45 ans et plus et 247 de femmes de 50 ans et plus.
Les risques pour la femme et pour l’enfant augmentent avec l’âge maternel : augmentation des anomalies chromosomiques et des fausses couches spontanées (si la grossesse provient de l’ovocyte de la femme), du diabète gestationnel, de l’hypertension artérielle, de la prématurité, des taux de césariennes, de la mortalité in utero et périnatale et de la mortalité maternelle. Ces risques s’aggravent au-delà de 45 ans et plus encore au-delà de 50 ans. Ils devraient être mieux connus et mieux pris en compte dans le suivi de ces grossesses afin de ne pas les banaliser. Ces données devraient également être diffusées aux femmes et aux couples qui repoussent l’âge d’être parents afin qu’ils prennent leur décision en toute connaissance cause.
Cet article revient sur les principaux risques liés aux grossesses tardives et aux conséquences qui en découlent pour la prise en charge.
LES RISQUES MATERNELS ET FŒTAUX
> Les pathologies préexistantes
La littérature est unanime, les maladies chroniques préexistantes à la grossesse sont toutes plus fréquentes chez les femmes de 40 ans et plus : hypertension artérielle (HTA), diabète, obésité, fibromes, dysfonctionnement thyroïdien, antécédent de pathologie cardiaque et thromboembolique. De plus, ces femmes plus âgées sont souvent en surpoids.
> Les risques obstétricaux
Le premier écueil de ces grossesses de la quarantaine est leur taux élevé de fausses couches spontanées (FCS) liées à l’ovocyte vieillissant (en cas de grossesse avec ses propres ovocytes). D'après Warbuton (1), le taux de FCS atteindrait 33,8 % à partir de 40 ans contre 11,7 % entre 30 et 34 ans, 17,7 % entre 35 et 39 ans et 53,2 % après 45 ans.
On admet généralement qu'au moins 60 % de ces avortements précoces sont liés à des anomalies chromosomiques dont l'élévation avec l'âge est bien connue. Ce risque est estimé à 1,6 % à 38 ans, 2,21 % à 40 ans et 4 % à 42 ans. La trisomie 21 représente la moitié des atteintes chromosomiques imputables à l'âge maternel. Les trisomies 13 et 18 augmentent également avec l'âge maternel, de même que les anomalies des chromosomes sexuels.
Par contre, il y a très peu de preuves d’augmentation des anomalies congénitales non chromosomiques.
Selon certains auteurs, les grossesses extra-utérines augmentent aussi avec l’âge.
Deux méta-analyses récentes ont confirmé l’augmentation des risques de complications de la grossesse pour la mère et pour l’enfant avec l’âge maternel (Pinheiro en 2019 [2] et Saccone en 2022 [3]).
Les femmes de 40 ans et plus présentent des risques significativement plus élevés d’hypotrophie fœtale, de prééclampsie, de prématurité, de césarienne, de placenta previae, de décollement placentaire que les femmes plus jeunes et ces risques sont encore plus élevés après 45 ans.
Les hémorragies de la délivrance sont plus fréquentes après 40 ans surtout lors du premier accouchement.
Les suites de couches sont marquées par un risque accru de thrombose.
L’augmentation du taux d’HTA et de diabètes gestationnels avec l’âge maternel, quelle que soit la parité, est unanimement reconnue dans la littérature.
> Mortalité maternelle et périnatale
La mortalité maternelle et périnatale augmente avec l’âge maternel
En France, dans la dernière enquête publiée en 2024 sur la mortalité maternelle entre 2016 et 2018, le risque de mortalité est multiplié par 2,6 pour les femmes âgées de 35-39 ans, et par 5 à partir de 40 ans, par rapport aux femmes âgées de 20 à 24 ans (Deneux-Tharaux C, Saucedo M. [4]). Les principales causes de mortalité avant 42 jours post-accouchement sont les maladies cardiovasculaires les complications gravidiques de l’HTA, les embolies amniotiques, les hémorragies obstétricales les accidents thromboemboliques et les accidents vasculaires.
Les deux méta-analyses récentes citées plus haut retrouvent une augmentation de la mortalité maternelle après 40 ans.
Ces données justifient une surveillance accrue des futures mères âgées tant au cours du troisième trimestre de leur grossesse qu'au cours de l'accouchement et une prise en charge dans une maternité adaptée aux risques maternels pour tenter de prévenir les accidents vasculaires sévères.
L’augmentation des morts in utero avec l’âge maternel est également unanimement reconnue dans la littérature, le risque maximum se situant entre 37 et 41 semaines d’aménorrhée ce qui amène certains auteurs à proposer le déclenchement avant terme.
Il est désormais reconnu que les complications de la grossesse tardive sont plus élevées chez les primipares que chez les multipares, ce qui montre bien que ce n’est pas seulement l’âge qui intervient dans les complications mais aussi le fait d’avoir un premier enfant tard.
LES GROSSESSES APRES DON D’OVOCYTE
En France le don d’ovocyte n’est possible que jusqu’au premier jour du 45e anniversaire mais certains pays, tels l’Espagne, la Belgique, la Grèce, où se rendent nombre de Françaises, acceptent les receveuses d’ovocytes jusqu’à 50 ans.
Les grossesses par don d’ovocyte après 40 ans conjuguent les risques des grossesses tardives et ceux du don d’ovocyte. Après don d’ovocyte, les risques de prééclampsie et de prématurité sont supérieur à ceux des grossesses obtenues par FIV avec ses propres ovocytes. Les problèmes seraient liés au fait que cette grossesse est à considérer comme une greffe allogénique totale et non une greffe semi-allogénique.
QUELQUES AVANTAGES DES GROSSESSES TARDIVES
Quelques auteurs soulignent que malgré ces risques obstétricaux, les femmes de 40 ans et plus ont un meilleur statut socio-économique que les plus jeunes, se prêteraient mieux au suivi prénatal et ont une perception plus positive de leur grossesse. Tout en reconnaissant les risques obstétricaux de ces grossesses, plusieurs études soulignent un effet positif sur le devenir comportemental et cognitif de ces enfants. À niveau social et à parité égale quelques études montrent que les enfants nés de mères plus âgées ont de meilleurs résultats scolaires que ceux de mères plus jeunes.
DEVENIR à LONG TERME DES FEMMES AYANT EU UNE GROSSESSE TARDIVE
Des études commencent à paraître sur le devenir à long terme de ces femmes qui ont eu une grossesse tardive. Le risque accru de cancers du sein en cas de grossesse tardive est bien connu, il semblerait aussi qu’elles aient davantage de risque de présenter une maladie cardiovasculaire, une HTA ou une maladie ischémique et de risque de cancer gynécologique.
PRISE EN CHARGE
Si en France il n’y a pas (encore ?) de recommandations pour la prise en charge de ces grossesses, certaines commencent à être émises par des sociétés savantes étrangères, pour adapter le suivi aux complications possibles. Pour les plus tardives, au-delà de 45 ans il s’agit de grossesses obtenues à l’étranger mais dont le suivi et les complications sont à assurer par des équipes françaises chez des femmes insuffisamment averties des risques.
Attali et Yogev dès 2021 (5) ont proposé d’adapter le suivi aux complications possibles (voir tableau ci-dessous)

En 2023, l’American College of Obstetricians and Gynecologists et la Society for Maternal-Fetal Medicine ont publié un consensus sur la prise en charge des grossesses à partir de 35 ans, avec des recommandations particulières après 40 ans (6). Ils recommandent entre autres une surveillance accrue de ces femmes.
En synthèse, on peut proposer :
- Avant la grossesse
La consultation préconceptionnelle devrait être systématique pour dépister les maladies chroniques et les facteurs de risques et conseiller sur les lieux d’accouchement.
Un bilan métabolique et cardiovasculaire est à proposer.
En cas de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP) il est recommandé d’éviter les grossesses multiples.
- Au premier trimestre
Sont préconisées : une échographie précoce de localisation de la grossesse (en raison du risque de GEU augmenté) puis d’évolutivité ; le dépistage des anomalies chromosomiques ; et la prescription d’aspegic en cas de haut risque d’éclampsie.
- Au deuxième trimestre
Sont préconisés : le dépistage du diabète et de l’HTA, l’échographie de localisation placentaire en raison de l’augmentation des anomalies de la placentation puis d’estimation de poids fœtal notamment à 32 et 36 semaines d’aménorrhée en raison du risque augmenté de retard de croissance.
- Au troisième trimestre
Le déclenchement de l’accouchement est préconisé entre 39 SA et 39 SA et 6 jours en raison de l’augmentation du risque de morbimortalité fœtale au-delà.
Au total, il faudrait que ces grossesses soient reconnues comme des grossesses à haut risque par les praticiens et les femmes elles-mêmes. Trop souvent les futures mères âgées surtout si elles ont bénéficié d’une assistance médicale à la procréation (et encore plus s’il s’agit d’un don d’ovocyte) ont tendance à banaliser cette grossesse et à vouloir privilégier la nature allant parfois jusqu’à nier le don d’ovocyte à l’origine de la grossesse et refusant toute médicalisation. Il faut donc expliquer les risques de ces grossesses tardives et dans le meilleur des mondes les en avertir avant la mise en route de la grossesse.
En résumé
■ Tous les risques maternels et fœtaux augmentent avec l’âge de la mère, dont la mortalité maternelle et périnatale.
■ Ce surrisque s’observe quelle que soit la parité, mais est plus marqué chez les primipares.
■ Il justifie une surveillance accrue en milieu spécialisé et un accouchement dans une maternité adaptée aux risques maternels (pour rappel la classification actuelle des maternités en France en niveaux 1,2 et 3 ne tient compte que des risques fœtaux).
■ Une consultation préconceptionnelle pour dépister les facteurs de risques et informer les futurs parents est fondamentale.
POUR EN SAVOIR PLUS
Belaisch Allart J. Grossesse et accouchement après 40 ans. EMC - Obstétrique 2024 :1-11 [Article 5-016-B-10].
Bibliographie
(1) Warbuton D et al. Cytogenetic abnormalities in spontaneous abortions of recognised conceptions. In: Porter H, Willey A, eds. Perinatal genetics. New York: Academic Press; 1986. p. 23-40
(2) Pinheiro R et al. Advanced maternal age: adverse outcomes pregnancy, a meta-analysis. Acta Med Port 2019;32:219-26
(3) Saccone G et al. Maternal and perinatal complications according to maternal age :à systematic review and meta analysis.J Gynecol Ostet 2022;159:43-55
(4) Deneux-Tharaux C, Saucedo M. Les morts maternelles en France : mieux comprendre pour mieux prévenir. ÉTUDES ET ENQUÊTES 7e rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018. INSERM 2024
(5) Attali E, Yogev Y. The impact of advanced maternal age on pregnancy outcome. Best Pract Res Clin Obstet Gynaecol 2021;70:2-9
(6) Cahill AG, Turrentine MA. American College of Obstetricians and Gynecologists. Obstetric Care Consensus #11, Pregnancy at age 35 years or older. Am J Obstet Gynecol. 2023;228:B25-B40.
En 5 points
Crise psycho-comportementale dans les maladies neurocognitives
Cas clinique
La miliaire rouge
Étude & Pratique
Pas d’aspirine chez le coronarien stenté déjà anticoagulé
En 5 points
Le refus scolaire anxieux