Le cadrage ministériel de la future convention fait du médecin traitant (généraliste ?) un chef d’orchestre. Il en a la vision d’un praticien qui délègue et qui anime les équipes coordonnées. L’un des objectifs est d’augmenter le nombre de patients pris en charge.
Qui doit faire quoi ?
Ufc Que choisir déplore que 23,6 % des femmes et 27,5 % des enfants vivent dans un désert médical gynécologique et pédiatrique. Ces analyses sont une approche non articulée des concepts, des diagnostics, des remèdes. Pour parler de déserts pédiatriques et gynécologiques, il faudrait d’abord se poser la question du « qui doit faire quoi ? ».
On a le droit de penser qu’une médecine de qualité exige que tous les enfants, toutes les femmes soient suivis par un pédiatre, un gynécologue. Alors il faut tripler le nombre de pédiatres, de gynécologues et baisser le nombre de généralistes. Mais on a aussi des arguments pour considérer qu’un médecin généraliste traitant est en mesure d’assumer avec autant de qualité 80-90 % des besoins de soins des enfants et des femmes.
Et comment le faire ?
À côté du « qui fait quoi ? » se pose la question du « comment il le fait ? ». Avoir pour objectif que le médecin traitant augmente sa patientèle, son nombre d’actes, est-ce réaliste ? Le médecin généraliste traitant suit environ 1 000 patients et a des consultations qui avoisinent les 15 minutes. Beaucoup trouvent que c’est une charge trop lourde et les consultations trop courtes.
Il est proposé de libérer le médecin des contraintes administratives et de gestion sans les remettre en cause pour autant. Les assistants médicaux seraient utiles si tous les médecins pouvaient en bénéficier, quelle que soit leur forme d’exercice. La solution principale c’est la délégation de tâches et compétences, des généralistes notamment.
Il existe des pays où le généraliste a en charge plusieurs milliers de patients, des consultations de moins de 10 minutes et la délégation développée. Ceci a un corollaire : une médecine technique, protocolisée, régulée d’accès et avec une relation médecin–patient peu personnalisée. Les résultats sanitaires n’y sont pas plus mauvais. « Pire », les médecins y ont souvent de meilleurs revenus pour moins d’heures de travail. Donc pourquoi pas ? Sauf que le médecin traitant ne peut être efficace que s’il connaît bien ses patients et réciproquement.
Croire qu’un médecin puisse être le médecin traitant de plusieurs milliers de patients ? Qu’il puisse avoir de rares contacts avec le patient ou uniquement sur dossier ? Que des consultations de quelques minutes suffisent ? Qu’il puisse se dispenser d’une disponibilité prioritaire pour sa patientèle ? Qu’il puisse amputer son activité en se concentrant sur quelques thèmes ? Qu’il ne lui soit pas nécessaire de se fixer dans une population ? Croire tout cela, c’est tromper les patients, les futurs généralistes et se raconter des histoires.
En cassant les dimensions premier recours, approche globale, durée, continuité, personnalisation maximale des soins et de la relation malade-médecin traitant, le généraliste traitant ne peut plus jouer son rôle. On le rend sans utilité au-delà de la gestion médico-administrative et des soins non programmés. L’interdisciplinarité n’est pas l’interchangeabilité des professionnels. Le médecin généraliste traitant n’est pas interchangeable en tant que personne.
La médecine française était aux soins ce que la gastronomie française est à la cuisine. Nos généralistes sont formés pour une « médecine Paul Bocuse » et ont des conditions d’exercice de « médecine fast food. »
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