Des affiches sont placardées à l’entrée des services pour indiquer qu’ici, « on ne fait plus d’Ivg ». Des membres des associations « Pro life » attendent les patientes avec des ballons et des guitares en brandissant des pancartes où sont dessinés des fœtus dans le ventre de leur mère, sous le regard bienveillant du personnel de santé. Bienvenue dans l’univers hospitalier italien où se faire avorter est devenue presque mission impossible.
Selon un rapport du ministère de la Santé publié en mars 2021, plus de 67% des gynécologues italiens sont objecteurs de conscience. A l’origine de ce choix : des questions religieuses, la peur d’être bloqué dans l’avancement de la carrière compte tenu du climat anti-avortement en milieu hospitalier et aussi, des raisons économiques. « Si les médecins hospitaliers pouvaient pratiquer des IVG dans le circuit hospitalier mais sous forme de consultation privée qu’ils pourraient facturer, il y aurait probablement moins d’objecteurs de conscience » estime un gynécologue sous couvert d’anonymat. Toujours selon le ministère de la Santé, à l’échelle nationale, 43,5% des anesthésistes et 37,6% des paramédicaux refusent également de pratiquer les IVG. Résultat : plus de 35,1% des structures sont désormais inaccessibles car les services sont obligés de mettre la clef sous la porte par manque de personnel. Dans ce contexte, le nombre d’IVG diminue un peu plus chaque année. En 2014 par exemple, le ministère de la Santé a recensé 131 216 IVG contre 67 638 en 2020.
Une autre enquête menée l’an dernier par l’association Luca Coscioni - qui milite aussi pour le droit à l’euthanasie - a révélé que, dans 22 hôpitaux italiens et quatre cliniques conventionnées, la totalité des soignants (gynécologues, anesthésistes, infirmiers), refusent désormais de pratiquer les IVG. Dans la région du Latium ou se situe la ville de Rome, 66% des praticiens sont objecteurs. La situation est encore plus dramatique en Sicile où leur nombre frôle la barre des 80% et dans le Molise (centre) où 92,3% de praticiens refusent de pratiquer l’avortement. L’an dernier, l’agence de santé régionale a lancé un concours pour recruter des gynécologues non objecteurs. Le concours a du être annulé faute de candidats. D’autres régions comme la Ligurie et la Campanie ont également essayé d’organiser des concours mais elles ont été bloquées par les tribunaux administratifs régionaux qui ont tout annulé.
IVG en baisse, avortements clandestins en hausse
Si la loi autorise les praticiens à se retrancher derrière la clause de conscience, elle spécifie aussi, qu’un autre gynécologue devrait être présent pour garantir le droit à l’IVG. Or cette clause n’est quasiment jamais respectée et l’Italie a déjà été épinglée à deux reprises. D’abord, par le Conseil de l'Europe en mars 2016 puis un an plus tard, par le Comité des droits de l’homme de l’Onu. Dans son rapport, cette instance a affirmé que la situation italienne « est inquiétante en raison du nombre toujours plus élevé de médecins objecteurs de conscience ». Elle a aussi souligné la recrudescence en Italie du recours à l’avortement clandestin, estimé aujourd’hui à quelques 13.000 par an mais difficile à tracer, en demandant à Rome d’intervenir au plus vite.
Mais réussir à inverser la tendance n’est pas facile car il faudrait en fait s’attaquer à l’ensemble du système et soutenir les médecins favorables à l’IVG. « Et cela, ce n’est pas gagné ! » résume un gynécologue romain. Ce praticien qui travaille dans un hôpital de la banlieue romaine explique qu’il serait mis à l’index par ses collègues et aussi harcelé par les associations pro-vie comme ces deux spécialistes qui travaillaient dans la région des Pouilles (sud) et qui ont préféré jeter l’éponge.
Faute de réussir à obtenir une révision de la loi sur l’avortement malgré les pressions des lobbies catholiques très actifs, certaines régions multiplient maintenant les obstacles. Ainsi, le 23 février 2021, le Conseil régional de la Lombardie qui comprend une majorité de conseillers élus dans les rangs de la Ligue (droite populiste), a bloqué un projet de loi garantissant la pleine application de la loi sur l’avortement dans le public notamment, sous peine des sanctions. Dans les Marches, le Conseil régional à majorité d’extrême-droite a refusé de voter une motion présentée par le parti démocrate qui réclamait l’application de la loi sur l’avortement pharmacologique et la distribution du RU486 dans les plannings familiaux. Ce qui est interdit en l’état actuel dans cette région mais aussi dans le Piémont. Cette région également dirigée par la droite, a aussi décidé de financer les associations pro-vie qui ont planté leurs drapeaux en toute légalité dans le circuit hospitalier régional.
Alors que faire ? « On ne peut pas obliger un gynécologue à pratiquer une IVG puisque la loi lui permet de ne pas le faire, il faudrait peut-être voir le chapitre sur la clause de conscience mais dans un pays aussi catholique que l’Italie qui ne veut surtout pas se fâcher avec son voisin le Vatican, cela ne passera jamais » confie le Dr. Giancarlo R.