C’est une fringante quadra, dont le succès ne se dément pas. Avec patience et conviction, elle s’est même imposée dans le paysage local au point d’être aujourd’hui, pour beaucoup, indispensable. Elle ? La maison médicale, née il y a quatre décennies dans le plat-pays.
La Belgique compte en 2021 près de 250 de ces structures de proximité financées par la sécurité sociale, où les patients trouvent tout à la fois des généralistes, des kinés et des infirmiers, mais aussi des psys, des assistants sociaux et même des dentistes. Sans débourser un centime.
La genèse de ce modèle unique s’ancre dans une époque – les années 70-, où de plus en plus de soignants se cherchent. « Une partie de la jeune génération d’alors, marquée par mai 1968, ne se retrouvait plus dans la pratique libérale, retrace Fanny Dubois, secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales belges (FMM). Mal à l’aise avec le rapport marchand et la prise en charge parcellisée en actes nomenclaturés, ils ont imaginé un modèle alternatif ».
« Les maisons médicales s’inscrivent dans la tradition de la médecine sociale, tournée vers l’autogestion et l’accessibilité », ajoute Vincent Lorant, professeur de politique de santé et de sociologie médicale à l’Université catholique de Louvain (UCL). « À Bruxelles, Liège, Anvers ou Gant, des professionnels se sont regroupés en ASBL (association sans but lucratif, ndlr) pour assurer des soins de première ligne dans les quartiers précarisés ». Jusqu’à fonder, en 1981, leur propre fédération.
Au cœur du dispositif résident deux grands principes. D’abord, la volonté d’une prise en charge globale. « La maison médicale défend une approche pluridisciplinaire et l’idée que la santé est un tout : la qualité du logement, l’activité physique, l’alimentation ou le lien social en font partie », souligne Fanny Dubois (FMM).
Ensuite, un habile mariage entre solidarité et mixité sociale. « Le but n’est pas de gérer un "cabinet pour précaires", mais bien de constituer une patientèle variée, mêlant classes aisée, moyenne et précarisée pour mieux financer la solidarité ». Un positionnement engagé, donc, et assumé. « Oui, ce projet revêt une dimension politique, sans pour autant être partisan », souligne Fanny Dubois.
Un choix d'exercice militant
Parmi ses grands combats (gagnés), figure le financement au forfait, inscrit dans la loi belge dès 1982. Le principe ? En lieu et place des actes facturés individuellement, la maison médicale perçoit de la Sécu un forfait, par patient et par mois. L’État fédéral finance le triptyque médecine générale (15 euros par mois et par patient), soin infirmier (15 euros) et kiné (7 euros) ; des subsides régionaux ou le reliquat des forfaits financent les autres types de soins. Pour plus d’équité, le forfait est modulé selon les catégories d’assurabilité et d’âge de la patientèle.
« C’est un contrat tripartite, décrypte Fanny Dubois. Le patient s’engage à réaliser toutes ses consultations hors-spécialistes dans sa maison médicale, en échange de soins gratuits, sans ticket modérateur ; la Sécu assure le financement ; et la maison médicale une prise en charge globale ». Si des maisons médicales pratiquent encore la facturation à l’acte, en milieu rural notamment, l’immense majorité ont adhéré au forfait. Près de 490 000 patients belges (sur une population de 11 millions) ont déjà adhéré à ce système.
Avec le temps, les maisons médicales, qui peuvent compter jusqu’à 4 000 patients, ont affiné leur stratégie. « Aujourd’hui, l’intégration des soins l’emporte sur l’accessibilité, analyse le chercheur Vincent Lorant, à l’instar du suivi des maladies chroniques, pour lequel elles sont très pertinentes ». Sans pour autant renier leur militantisme social. « Elles sont reconnues comme un acteur essentiel de la santé communautaire et ont tissé des liens forts avec les autorités locales – comme les CPAS (Centres publics d'action sociale)-, les associations et les ONG ».
Si les patients sont conquis… les soignants aussi. « Ils y trouvent un travail d’équipe, coopératif, démocratique et intergénérationnel, loin de la solitude du cabinet libéral, témoigne Fanny Dubois. Ils s’économisent en outre, grâce au secrétariat mutualisé, la charge mentale de la paperasse et du labeur administratif… » Les jeunes médecins ne s’y trompent pas : en maisons médicales, 70% des généralistes ont moins de 45 ans, contre 28% à l’échelle nationale.
Reste à satisfaire la demande... Toutes les maisons médicales belges doivent refuser des patients. « Il y a des listes d’attentes partout », souligne leur fédération, qui milite pour que l’Etat forme, enfin, plus de médecins.