Faut-il doter chaque nouveau-né d’un passeport génétique ? Le dépistage prénatal doit-il être élargi à un maximum de maladies génétiques ? Et si l’on inventait, pour mieux les protéger, une « banque centrale » des données génomiques ?
Depuis quelques semaines, les citoyens belges qui le souhaitent disposent d’un sujet tout indiqué pour animer leurs longues soirées d’hiver… Les questions, épineuses et complexes, leur sont soumises par l’Institut belge Sciensano dans le cadre d’une consultation publique, lancée le 15 octobre pour une durée de 4 mois.
Élargir le débat
À l’origine du « Débat ADN », il y a un constat : la révolution génétique est bien là, qui bouleverse la recherche et la pratique médicales, mais la société semble, elle, comme prise de court. « Dépistage prénatal, diagnostics des maladies rares ou héréditaires, des cancers, ou encore tests de porteurs avant procréation, la question de l’utilisation de l’information génomique se pose désormais tout au long de la vie de l’individu, souligne Chloé Mayeur, bioéthicienne et collaboratrice scientifique chez Sciensano. Or, les citoyens ne sont pas toujours au fait des conséquences concrètes de l’accumulation de données génétiques, dont il faut bien décider comment elles seront exploitées, stockées et protégées. D’où l’urgence de se familiariser, par le débat, avec ces nouveaux enjeux éthiques ».
En 2018, une première consultation, en petit comité, avait été menée avec l’organisation d’un « Forum citoyen ». Trente-deux Belges avaient été sélectionnés pour réfléchir et discuter, le temps de trois week-ends de travail, sur la problématique ADN. Un an plus tard, il est donc l’heure d’élargir le débat.
Les écoles mobilisées
Le dispositif consultatif est hébergé par un site internet dédié (debatadn.be). On y trouve notamment un test de 15 questions explorant les divers enjeux liés aux données génétiques, pour inciter le citoyen à se positionner et se projeter très concrètement. Par exemple, la Sécu doit-elle financer les tests ADN ? La police et la justice doivent-elles accéder aux données ? Qui pour les stocker ? Quelle latitude donner aux entreprises ?
On y trouve, aussi, une plateforme sur laquelle l’internaute peut témoigner, exprimer ses opinions, soumettre des idées et voter pour celles soumises par ses pairs. Enfin, pour que la réflexion s’épanouisse en dehors du seul site web, des supports pédagogiques sont mis à la disposition des enseignants, afin de lancer le débat en classe. Près de 70 écoles se sont d’ores et déjà prêtées au jeu.
Ouvertes jusque mi-février, les contributions seront ensuite traitées et compilées par Sciensano, qui formalisera une série de recommandations citoyennes et les transmettra, le 6 mars 2020, aux responsables politiques, ministre de la Santé en tête.
Si les résultats finaux demeurent incertains, Sciensano a mené, en amont du débat, une enquête liminaire auprès de quelque 1 045 personnes représentatives de la société belge, livrant une première esquisse des espoirs et des craintes de la population en matière de génétique.
Le verdict est dual. Il y a, d’abord, le progrès qui convainc, à l’image du potentiel préventif inouï rendu possible par les progrès de la génétique : 86 % des sondés souhaitent ainsi élargir la liste des maladies génétiques dépistées lors du test prénatal non invasif (NIPT), bien au-delà des quelques-unes aujourd’hui testées sur le fœtus. De même, plus de 70 % disent vouloir savoir, avant de procréer, si la combinaison de leurs gènes avec ceux de leur partenaire peut causer des maladies chez le futur bébé.
Un statut juridique particulier pour les données ADN ?
Et puis il y a le progrès qui fait peur. Comme l’émergence d’une « discrimination génétique » : 9 Belges sur 10 refusent qu’un assureur puisse accéder aux informations génétiques de ses clients potentiels pour calculer leurs primes. De même, 84 % des sondés sont hostiles à l’idée que les résultats des tests ADN puissent être vendus à des tiers, même si cela entraîne une baisse du prix des tests.
« Cette étude dévoile, sans surprise, une grande méfiance des citoyens vis-à-vis de la protection de leurs données génétiques », note Chloé Mayeur. Préoccupation légitime car « il n’y a pas, aujourd’hui en Belgique, de loi spécifique au génome », indique-t-elle. En l’état, la protection des données de l’information génomique est couverte par le Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui s’applique à toutes les données personnelles.
Un cadre général qui pourrait bientôt ne plus suffire aux yeux des citoyens. Comme le rapporte la bioéthicienne : « Parmi les principales conclusions du Forum citoyen figurait la volonté de voir naître une loi spécifique au génome, ou du moins que le génome ait un statut juridique particulier par rapport aux autres données personnelles ».