Le tollé est à la mesure de l’ampleur de la saignée : mais c'est un énorme pavé qu'a jeté le Dr Lyes Merabat, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), dans la mare du système de santé algérien. Dans un post publié le 5 février sur sa page Facebook, il alertait du départ proche de 1 200 médecins algériens vers France après leur réussite aux Épreuves de vérification des connaissances (EVC). L'onde de choc dans l’opinion publique algérienne est telle qu’aujourd’hui encore elle continue d’enflammer la toile comme le landerneau politique, en suscitant des réactions en chaîne. « Personnellement j'ai fait le relais en publiant l'information sur mon compte FCB car d'autres pages avaient déjà traité le sujet et donné ce chiffre de 1 200 médecins algériens reçus à l'EVC », explique le Dr Merabet au « Quotidien du Médecin », précisant que « le phénomène, qui prend de l'ampleur chaque année, a été porté à mainte reprise à l'intention des autorités publiques compétentes ».
Devant le buzz crée sur les réseaux sociaux par le post de ce médecin-syndicaliste, le Pr Abderrahmane Benbouzid, ministre algérien de la Santé, a tenté dans un entretien à la chaîne de télé privée Ennahar TV, de minimiser l’étendue du phénomène, en assurant qu’il n’est pas propre à l’Algérie, non sans se défausser sur les vieux médecins qui refusent d’aller à la retraite afin de laisser place nette aux jeunes médecins. « Celui qui arrive à la retraite doit céder sa place et si on a besoin d’eux, on fera appel à eux », s’est-il exclamé. Une sortie qui a eu le don de provoquer l’ire du Collectif des Professeurs en Sciences Médicales qui, dans une déclaration l’a qualifiée d’« ahurissante », d'autant que, argue-t-il, le nombre de professeurs qui devaient partir à la retraite est de 100 à peine. « Une telle incongruité venant de la part du ministre en exercice a de quoi laisser pantois (…)», assènent encore ces universitaires.
La faute aux vieux médecins… ou aux conditions de travail ?
Le président du SNPSP relève que le ministre de la Santé a reconnu que « des raisons objectives » sont « derrière le phénomène ». Et d'avancer la sienne : « Les médecins algériens candidats à l'exil le font principalement pour rechercher un statut social digne et un environnement professionnel et scientifique qui répond à leurs qualifications et à leur projet social personnel », explique-t-il. D’autres professionnels de la santé s’accordent à dire que les conditions socioprofessionnelles sont pour beaucoup dans l’apparition de ce phénomène qui, en 20 ans, a coûté à l’Algérie le départ de plus de 15 000 médecins, selon le Dr Mohamed Bekkat-Berkani, président du conseil de l'ordre national des médecins. « Le médecin spécialiste est celui qui fait le plus long cursus universitaire avec un bac+12 et il est payé à moins de 80 000 DA (502 euros au taux de change officiel). C’est scandaleux », s’étrangle pour sa part le Dr Mohamed Yousfi, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital de Boufarik et président du Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP), dans une un entretien au site Tout sur l’Algérie (TSA). « Les spécialistes de santé publique travaillent dans un système de santé complètement déglingué. Les choses ne font que s’aggraver », insiste-t-il.
Les principaux intéressés se justifient pour leur part par le manque d'attractivité des carrières de ce côté de la Méditerranée. Telle cette rhumatologue admise aux EVC qui explique au site Visa-Algérie, le phénomène de cet exode massif des médecins, non pas par le manque de postes dans les hôpitaux algériens, mais par le fait que « l’exercice du métier ne permet pas l’épanouissement professionnel ni sur le plan salarial, ni celui de la progression professionnelle et de l’évolution des compétences ». Et cette médecin d'enfoncer le clou : « Dans certains cas, nous sommes incapables de rendre service au malade. À cause du manque de moyens, nous n’avons pas de traitement à proposer. Psychologiquement, il est extrêmement dur de voir des patients dépérir et de ne pouvoir rien faire », déplore-t-elle.
Qu’y a-t-il lieu de faire pour stopper cette spirale de la fuite des cerveaux algériens en général et des médecins en particulier ? Pour le Dr Lyes Merabat, « il est impératif de revoir la politique des salaires proposés au secteur de la santé et en particulier les salaires des médecins généralistes et spécialistes de santé publique ». Le président du SNPSSP estime que la solution passe nécessairement par la réhabilitation du médecin « en lui donnant ses droits » et « en améliorant ses conditions socioprofessionnelles ». La balle est désormais dans le camp des autorités. D'autant que Mohamed Bekkat-Berkani a tiré le signal d’alarme dès fin octobre 2021 déjà, en soutenant, sur les colonnes du journal El Watan, que le conseil national de l’Ordre des médecins reçoit chaque semaine près d’une cinquantaine de demandes de délivrance de certificats d’exercice et de bonne conduite, de la part de spécialistes s’apprêtant à quitter le pays et dont 80 % d’entre eux ont jeté leur dévolu sur la France.
Exergue : Dès fin octobre, l'Ordre des médecins algérien avait tiré le signal d'alarme