« Comment j’en suis arrivé là ? » C’est une question qui revient souvent chez les médecins qui en situation de stress et de pression temporelle commettent des erreurs ou des « presque erreurs » médicales. En aéronautique – et depuis peu en médecine – on désigne cette situation sous le terme « effet tunnel » (« tunnellisation » attentionnelle), aussi appelé « fascination de la cible » ou « syndrome de persévération » en neuropsychologie.
En activité de soins, l’effet tunnel correspond à un blocage cognitif majeur qui enferme un individu dans un seul diagnostic ou une seule activité. L’opérateur est obnubilé par l’option choisie pour résoudre rapidement le problème survenu, et ne remet pas en question sa conduite malgré des données discordantes. Concentré sur sa gestion de crise, il alloue toute son attention à une information ou une tâche unique pendant une durée excessive (ou dépassant le nécessaire), ce qui entraîne la négligence des autres informations et tâches à effectuer. Il n’a alors plus la vision d’ensemble de la situation. Cet effet tunnel peut être à l’origine d’événements indésirables.
« Toute situation clinique associant à des degrés et des intensités différentes un stress, une pression temporelle élevée et une importante charge mentale peut favoriser la survenue chez les soignants d’un effet tunnel, qui se renforce d’autant plus que ces trois éléments augmentent en intensité », explique au « Quotidien » le Dr Pierre Raynal (service de la Qualité, CH Le Chesnay) enseignant du DIU facteurs humains et gestion des risques en santé (Université Paris Saclay).
En contexte d’urgence, le temps et les capacités cognitives sont limités et, sous l’effet du stress, les cliniciens risquent d’être davantage soumis à des biais cognitifs. Une tâche dont les besoins cognitifs dépassent les ressources disponibles est perçue comme une menace. La capacité à écouter, communiquer et à travailler en équipe est atténuée. Les informations périphériques ou perçues comme non prioritaires sont ignorées, générant un effet tunnel qui tend à augmenter avec la complexité de la tâche.
Pour le Dr Raynal, « éviter et sortir d’un effet tunnel passe par la mise en œuvre de plusieurs contre-mesures qui doivent être enseignées à l’ensemble de l’équipe soignante. Il est essentiel que, quelle que soit sa fonction dans l’équipe, on sache qu’il est possible d’interférer dans la tâche d’un autre membre enferré dans un effet tunnel, même si cette personne est plus diplômée ou formée ». La connaissance de l’effet tunnel par l’équipe soignante, et plus largement des facteurs organisationnels et humains, encore appelés « compétences non techniques » est l’un des piliers de la formation. Cela passe par un enseignement sur la gestion des ressources de l’équipe (crew ressource management – CRM) qui permet une baisse du taux d’erreur dans les soins, une amélioration de la communication entre soignants, une meilleure capacité dans les prises de décision, la délégation, l’appel à l’aide, la conscience et le contrôle de la situation.
Anticiper les situations à risque
Le repérage des situations pouvant favoriser l’apparition d’un effet tunnel est aussi essentiel. « Il est souhaitable de verbaliser de façon claire, devant toute l’équipe et à chaque fois que cela est nécessaire que la situation clinique à venir peut être à l’origine d’un effet tunnel (accouchement complexe en urgence, par exemple) », continue le Dr Raynal. Ce briefing est l’occasion de se concerter sur les signes annonciateurs, leur reconnaissance et l’anticipation des réactions à mettre en œuvre.
L’encouragement à la parole au sein de l’équipe se traduit par la baisse du gradient hiérarchique. Cette notion est essentielle car l’une des premières causes des événements indésirables associés aux soins est le défaut de communication dans l’équipe. Un fort gradient hiérarchique ne permettant pas la libre expression et une communication pertinente.
Comment sortir de l’effet tunnel ? « Il est très difficile pour un professionnel de se sortir seul d’un effet tunnel car il n’a pas conscience d’y être entré. En équipe, cela passe par la mise en œuvre des contre-mesures verbalisées : appeler la personne par son prénom, toucher son bras, faire un geste de la main devant ses yeux afin de masquer et ainsi d’annuler l’objet source de la focalisation, ou énoncer un mot "code" convenu en amont », explique le Dr Raynal. Ces solutions ne seront couronnées de succès que si elles sont connues, partagées et acceptées par l’ensemble de l’équipe soignante.
Un débriefing après toute circonstance associée à un effet tunnel doit être proposé. Il permet d’analyser et de mieux comprendre la situation clinique vécue. Le retour qualitatif sur la prise en charge de l’effet tunnel et de ses potentielles conséquences en termes de morbi-mortalité est un moment d’analyse d’événements indésirables associés aux soins qui peut permettre la mise en place de contre-mesures évitant la répétition d’un tel événement.
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