Effectifs

Publié le 09/12/2022
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Après 2 ans de crise Covid, le manque de personnels médicaux empêche les services de fonctionner correctement. Bien que des réponses sont apportées à cette crise de recrutement, leurs effets tardent à se faire sentir. 

Interrogé sur France Bleu en décembre 2021, Emmanuel Macron constatait que « la pénurie de médecins est un des problèmes les plus importants aujourd’hui de notre pays ». Entre la fermeture de services d’urgences durant l’été ou encore les difficultés de prise en charge des patients dans les services de pédiatrie, l’hôpital a de nouveau connu une année 2022 agitée. Si bien qu’un an après cette déclaration, l’ensemble du secteur hospitalier, qu’il soit public ou privé, fait toujours face à des problématiques de recrutement aggravées par deux années d’épidémie de Covid.

Des besoins non couverts

Même si les effectifs de praticiens hospitaliers ont progressé de 10,8 % entre 2012 et 2022 passant de 41 051 à 45 475, cette hausse n’a pas permis de compenser les besoins. Le Centre national de gestion évoque un taux de vacance des postes de praticiens hospitaliers à hauteur de 31,6 % pour l’année 2021. Certaines spécialités médicales sont plus touchées que d’autres par ce phénomène, comme la psychiatrie ou la radiologie avec respectivement 43,4 % et 35,5 % des postes inoccupés. Dans les spécialités médicales, « nous constatons des manques en anesthésie, la radiologie, la pédiatrie » détaille Sophie Marchandet responsable du pôle des ressources humaines de la Fédération hospitalière de France (FHF). Un manque de médecins également constaté par l’ensemble des centres de luttes contre le cancer (CLCC).  « Il y a de fortes tensions pour les radiologues, les radiothérapeutes et les anesthésistes mais aussi, les chirurgiens ou les médecins nucléaires » énumère Nicole Bouwyn directrice des ressources humaines groupe chez Unicancer.

Toutes les régions ne sont pas concernées de la même manière par ce manque de médecins. Alors que la Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Bretagne affichent les taux de vacances les plus faibles, avec 24,1 % et 26,3 % de taux de vacance, les régions Centre-Val de Loire et Normandie enregistrent des taux 39,4 % et 38,4 % de postes non pourvus, les plus élevés de France métropolitaine.

Mêmes si la retraite demeure la première cause de départ des praticiens hospitaliers, elle n’explique qu’en partie ce taux de postes non pourvus. En augmentation depuis 2019, les démissions constituent la deuxième cause de départ du corps. Elles représentent en effet 15,8 % des sorties définitives notamment en chirurgie et en radiologie avec des taux respectifs de 19,1 % et 18,8 %.

Conditions dégradées

Un manque d’effectif médical qui s’accompagne de dégradations des conditions de travail à l’hôpital. S’il n’y a pas de fuite massive des soignants selon la Fédération hospitalière de France (FHF) qui, dans une enquête menée en avril 2022, relève une hausse de 3 % des effectifs des établissements publics entre 2019 et 2022, les tensions sur le recrutement persistent. « Moins de CV arrivent et le recrutement nécessite un effort plus important » explique Sophie Marchandet qui évoque un taux de vacance entre 5 et 6 % dans les établissements publics.

Ces absences ont plusieurs conséquences sur le dynamisme des établissements et le moral de leurs personnels. La hausse de la fatigue des équipes est la première d’entre elle suivie par un recours encore plus important aux heures supplémentaires et à l’intérim. Enfin, 85 % des CHU et 57 % des centres hospitaliers ont dû fermer temporairement des lits. Moins touchés que l’hôpital public, les CLCC rencontrent les mêmes problématiques et annoncent, en novembre 2022, 2,5 % de lits fermés et des taux de vacance de 5,5 % parmi le personnel infirmier mais affichent des taux plus élevés de 24,6 % chez les infirmiers de blocs opératoire et 12,5 % pour les infirmiers anesthésistes.

L’hôpital connaît une vraie crise de recrutement et d’attractivité alors que les professions médicales attirent toujours autant les jeunes générations puisque les inscriptions dans ses filières à la sortie du bac restent importantes. En 2022, 10 % des lycéens ont fait au moins un vœu en PASS (Parcours d’accès spécifique santé) ; un taux qui monte à 19 % pour la filière LAS (Licence accès santé). Mais les conditions d’exercice en dissuade plus d’un d’aller au bout d’un cursus intense et exigeant. Lors d’une récente rencontre avec l’Association des journalistes de l’information sociale, François Braun, le ministre de la Santé, a en effet estimé que les taux d’abandon autour de 10 % pour les étudiants en médecine et de 20 % pour les étudiants en soins infirmiers.

Rendre l’hôpital attractif

Garder ces professionnels au sein des structures hospitalière demeure un enjeu essentiel pour l’ensemble des établissements. Les contraintes liées à ces professions comme les gardes ou encore les astreintes afin d’assurer la continuité de service « ne sont pas valorisées à leur juste valeur » juge-t-on à la FHF. D’autant plus que les manques de personnels et le taux d’absentéisme augmentent mécaniquement la charge de travail de ceux encore présents. Améliorer leurs conditions de travail passe notamment par leur procurer « des conditions de travail optimales, c’est-à-dire un système d’information qui fonctionne, le respect de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée ou encore ne pas les rappeler pendant leur jour de récupération » énumère Sophie Marchandet.

Depuis 2020 et le début de la crise du Covid, le Gouvernement a pris de nombreuses mesures pour relancer l’attractivité de l’hôpital. Le Ségur de la santé prévoyait notamment la refonte des grilles et un nouveau statut de PH « mais les praticiens hospitaliers estiment que ce n’est pas suffisant au regard de leur exercice professionnel » explique Sophie Marchandet. D’autres mesures vont prendre du temps avant de produire les effets escomptés. Le système du numerus apertus a été mis en place en 2022, mais la formation d’un médecin prend au moins 10 ans, si bien « qu’on reviendra à un niveau équivalent à 2018 qu’en 2032 » précise Sophie Marchandet.

En attendant l’arrivée des jeunes générations et le renouvellement des effectifs, il s’agit de ne pas voir partir ceux déjà en place. « Il faut récupérer du temps médical, estime Nicole Brouwyn. On peut par exemple développer la pratique avancée pour combler certains manques ou bien décharger les médecins des tâches administratives pour recentrer leur activité sur le médical ». Une autre piste explorée notamment par Nicolas Revel, le nouveau directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), consiste à assouplir le temps de travail des personnels hospitaliers. Parmi les 30 pistes d’action publiées en septembre 2022, il constate la diversité des aspirations entre les professionnels les plus jeunes et ceux en poste depuis plus longtemps concernant le rythme de travail. Il estime néanmoins qu’il « doit être possible d’introduire davantage de souplesse dans les organisations, en permettant la mise en oeuvre de schémas innovants et mixtes ». Des réponses différentes peuvent être apportées selon les régions et les établissements. Car les différences de situations selon les régions et les types d’établissements font qu’il « y a besoin d’un cadre national, mais il y a aussi de besoin de prendre en compte les disparités territoriales et entre les établissements » conclut Sophie Marchandet.


Source : Le Quotidien du médecin