Programmes dans les écoles
Il reste encore beaucoup à faire en matière de prévention du tabagisme en France. L'expertise collective de l'INSERM a permis d'examiner des programmes mis en place dans des écoles aux États-Unis (depuis les années 1980), au Pays-Bas et dans les pays scandinaves. Ces interventions n'ont pas eu d'effet significatif, y compris dans des programmes de grande qualité comme le HSPP (Hutchinson Smoking Prevention Project), qui est l'intervention la plus rigoureuse (les enfants ont été suivis de la maternelle jusqu'à deux ans après la terminale). Après un tel travail, considérable et très coûteux, les résultats ont été totalement nuls.
Au Royaume-Uni, on a tenté de former les leaders de la classe afin qu'ils influencent les autres enfants. Quelques résultats positifs sont enregistrés au début des interventions, mais, au bout de deux ans, l'effet n'est pas significatif.
«Pour les aspects purement préventifs, nous ne savons pas faire, car nous n'avons pas identifié les moteurs. Nous n'avons pas encore trouvé ce qui peut changer l'image du tabac dans la société.»
On sait, tout au plus, ce qu'il est inefficace de faire. Aborder la question par des interdictions brutales peut être radicalement contre-productif. «On transforme une action de santé publique en une lutte antifumeurs, dont on peut attendre des effets pervers. La véritable victime du tabagisme, c'est le fumeur. L'aider vraiment à arrêter, c'est tout bénéfice pour le non-fumeur.»
Enjeux identitaires
Les enjeux identitaires associés au tabagisme sont forts. Fumer fait partie de la cohérence du soi, qui rentre en compte dans l'initiation des jeunes à la consommation du tabac. Proposer comme idéal le bon élève non fumeur et stigmatiser le fumeur incite celui qui a une image négative de lui-même à prendre plutôt pour modèle le cancre tabagique, l'autre lui semblant inaccessible. Il vaudrait mieux chercher à reconnaître et à valoriser les qualités latentes des jeunes stigmatisés et mal dans leur peau.
Il est très difficile d'avoir une image fiable de la prévalence du tabagisme en se fondant sur des réponses à des enquêtes. Ainsi, pour la même année 2003, une évaluation du tabagisme en France donne une prévalence de 27 % pour l'OMS, de 30,5 % pour l'INSEE et de 44 % pour l'EUROBAROMETER (lancé par l'Union européenne).
Le flou le plus artistique
«Nous sommes dans le flou le plus artistique, car les réponses reflètent ce que les gens souhaitent être, et pas ce qu'ils sont en réalité. Et comme plus une société est intolérante, plus on est amené à lui mentir, ils choisissent aussi une réponse susceptible de plaire à l'autorité.»
Par exemple, voici trente ans, un jeune qui fumait quelques cigarettes régulièrement et avait fumé un jour un paquet lors d'une sortie, répondait en roulant des mécaniques : «J'en suis au paquet.» Le même, actuellement, croit qu'il s'arrêtera, n'accepte pas encore de se voir comme fumeur et peut en toute honnêteté dire : «Je ne fume pas.» Tant qu'on ne contrôlera pas ces déclarations par des contrôles biologiques (cotinine urinaire ou CO expiré), on n'aura pas une image claire. Mais cela risque d'être difficile à mettre en oeuvre et coûteux.
Sur le plan de la société, on est content parce que le volume des ventes diminue à la suite de l'augmentation des prix des cigarettes. Mais les analyses fines montrent que beaucoup de gens vont s'approvisionner en contrebande, ou se tournent vers des modes de consommation plus dangereux : ils vont fumer leurs cigarettes jusqu'au bout, passer à des moins chères, les rouler, parfois avec du tabac de mégots, inhaler plus profondément une fumée plus toxique… Au total, un fumeur dépendant règle son comportement pour s'accorder une dose de nicotine à peu près constante.
De ce fait, si l'on n'a pas de mesure de la prévalence précise, comment savoir qu'une prévention marche ?
Un automatisme
Fumer est un automatisme, comme respirer ou manger. On peut montrer facilement que l'on ne règle pas un problème d'automatisme par la volonté : il suffit de demander d'arrêter de respirer. Malgré tous les efforts de volonté, on ne tient pas longtemps. «La raison est faite pour faire des choix mais, pour tenir dans le temps, le moteur, c'est l'affectivité, les sentiments, c'est-à-dire le désir.Lorsque l'on désire vraiment quelque chose, on aura la force de tout faire pour l'obtenir. La première vraie question est donc: “Est-ce que j'ai envie d'arrêter ?”, ou bien : “Est-ce qu'il faut que j'arrête ?” . »
Susciter et accroître le désir de s'arrêter
Mais comment susciter et surtout accroître le désir d'arrêter ? Le meilleur moyen psychologique est sans doute d'inciter à se mettre dans la peau de celui qui voudrait s'arrêter de fumer. L'habit ne fait pas le moine, dit-on. C'est vrai et faux à la fois. C'est vrai si le déguisement est destiné à tromper. Mais celui qui se prend à rêver d'ascétisme et se drape dans une couverture de bure pour se contempler devant la glace de sa chambre a bien des chances de finir au monastère. Jouer «à qui s'arrête», prendre l'habit de celui qui va s'arrêter, faire de petits «passages à l'acte», comme décider de ne pas fumer après le café, accroître le désir, jusqu'au moment où «ça» va craquer, où «ça» s'arrête, et où l'on bascule dans le camp des «ex-fumeurs».
Contrairement à ce que croit profondément le fumeur, il y a une vie après le tabac. Lui, il voit l'arrêt comme la hache du bourreau. Mais on «n'arrête» pas de fumer. C'est au terme d'un long travail sur soi-même, émaillé de tentatives avortées, d'un lent travail de «défume», quand on s'est développé une nouvelle personnalité enrichie où le tabac n'a plus sa place, que l'on «abandonne» sa cigarette comme on a délaissé le doudou de son enfance.
* Pr Robert Molimard, professeur honoraire de physiologie à la faculté de médecine Paris-Sud, ancien chef de service de médecine interne à l'hôpital Fourestier, à Nanterre.
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