Capsule fragile
La rate siège dans la région thoraco-abdominale gauche. Le gril costal la masque entièrement si son volume n'est pas augmenté. Relativement mobile (avec la respiration), elle est fixée par les épiploons gastro- et pancréaticospléniques.
Pour mobiliser la rate hors de la cavité abdominale (geste initial de la chirurgie pour traumatisme splénique), il faut couper ces ligaments. La vascularisation de la rate est assurée de manière segmentaire par les branches de division de l'artère splénique, ce qui autorise la réalisation de splénectomies partielles.
Quoique protégée par l'auvent costal, la rate est l'organe le plus souvent lésé par les traumatismes abdominaux fermés ; cela s'explique par la fragilité de sa capsule (à la différence de la solide capsule de Glisson qui entoure le foie) et de son parenchyme.
Hommes jeunes
Les traumatismes de la rate touchent essentiellement des hommes jeunes, par accident de la route (deux-roues), du sport ou agressions. Dans la moitié des cas, il existe des lésions associées, abdominales ou extra-abdominales. Les lésions spléniques sont distinguées sur le scanner en cinq stades, de I à V (tableau).
Diagnostic et examens complémentaires
Le diagnostic est évoqué du fait du point d'impact (en dehors des polytraumatismes), devant une douleur, une défense de l'hypochondre gauche, une limitation de l'inspiration profonde. En cas de rupture capsulaire (stades IV-V), un collapsus est possible ; le diagnostic sera confirmé, selon la gravité du choc hémorragique et sa compensation, soit par la laparotomie d'urgence, surtout si l'on redoute des lésions associées, soit par les examens d'imagerie.
Les examens biologiques se limitent à la recherche du groupe rhésus (transfusion), à une numération avec hématocrite et à une amylasurie.
La radiologie comprend un cliché de thorax recherchant aussi les fractures de côtes basses, un abdomen sans préparation (épanchement) ; une échographie permet de rechercher un hématome sous-capsulaire, des lésions associées hépatiques et rénales ; un scanner, avec injection, apprécie l'importance des lésions spléniques (tableau) et associées, et permet, en fonction de la clinique et de ces lésions associées, de décider de la prise en charge.
Prise en charge thérapeutique
1) Situation de grande urgence
L'état hémodynamique est instable et la tension s'effondre dès l'arrêt de la transfusion : une laparotomie médiane est indispensable pour faire l'hémostase et traiter les lésions associées. La splénectomie totale s'impose alors le plus souvent, soit que la rate soit éclatée, soit qu'elle ne soit que l'un des organes lésés, mais que sa conservation ferait perdre du temps et prendre des risques de complications secondaires.
2) Traitement médical
Si la lésion splénique est isolée, la conservation de la rate est de plus en plus recommandée selon des critères précis et une surveillance stricte.
La rate ne doit pas être pathologique (affections hématologiques ou parasitaires) ; il ne doit pas y avoir de troubles de la coagulation et, surtout, l'état hémodynamique doit être stable sans que l'on ait eu à transfuser plus de 4 unités. La surveillance de ce malade strictement alité et à jeun repose sur la répétition des examens cliniques, biologiques et d'imagerie pour dépister toute reprise hémorragique. Cette attitude, très défendue par les chirurgiens pédiatriques (2), a été progressivement étendue à l'adulte (jeune).
Le traitement médical a d'autant plus de chances de succès que le stade de la lésion est plus faible. Il mérite d'être tenté, surtout chez les sujets jeunes et sains (3).
La réussite de ce traitement apparaît généralement dès les deux premiers jours. L'échec impose un traitement chirurgical, qui pourra le plus souvent être conservateur.
3) Traitement chirurgical (ou radiologique interventionnel)
Malgré cette tendance du traitement conservateur, la laparotomie de sauvetage, bien que grevée d'un taux important de complications (infections, fistules, éventrations) et de réadmissions dans les polytraumatismes, permet néanmoins de traiter d'emblée les lésions associées (foie, intestin, gros vaisseaux, pancréas) et d'assurer un bénéfice en termes de survie à long terme (4).
Les échecs de l'abstention opératoire sont plus nombreux que ceux de la chirurgie conservatrice et celle-ci semble devoir être préférée, en particulier dans les traumatismes multiples (5).
La voie d'abord est le plus souvent une laparotomie médiane ; certaines équipes préfèrent, dans les indications secondaires, la voie coelioscopique s'il n'y a pas de saignement actif ou, à l'inverse, en cas de polytraumatisme grave, avec hémopéritoine important, pour faire le bilan des lésions et les traiter (qu'il s'agisse de splénectomies totales ou partielles, d'électrocoagulation ou d'enveloppements par prothèses résorbables) (6).
La chirurgie consiste souvent en une splénectomie totale, avec clampage, puis ligature première des éléments du pédicule, en se méfiant de la grande courbure gastrique, amarrée par les vaisseaux courts, et de la queue du pancréas. Un drainage aspiratif est habituellement mis en place.
La splénectomie partielle est possible dans certains cas de fracture franche ne dévas- cularisant qu'un territoire précis.
L'hémostase peut être manuelle (points), mécanique (pinces automatiques, tamponnements, ultracision) ou biologique (colle).
Il est possible aussi de suturer des plaies minimes par de prudents points en X ou, surtout, après avoir complètement libéré la rate, en l'enserrant dans une charlotte résorbable qu'une bourse permet d'encapuchonner en la fripant par serrage mesuré autour du hile.
L'embolisation de l'artère splénique, même dans les lésions de type III, IV ou V, peut donner de bons résultats dans des mains entraînées (7).
Surveillance après splénectomie
La splénectomie entraîne une altération de la fonction immunitaire dévolue à la rate avec diminution des IgM et des IgG et, par ailleurs, une hyperplaquettose ; la menace est donc double, infectieuse et thromboembolique.
Le risque infectieux, plus marqué chez l'enfant, se manifeste cependant chez l'adulte (surtout dans les deux ans qui suivent la splénectomie) par des pneumopathies graves ou des septicémies mettant en jeu le pronostic vital.
Tout splénectomisé bénéficiera donc d'une vaccination antipneumococcique, éventuellement répétée tous les cinq ans chez les sujets jeunes ou immunodéprimés. Une antibioprophylaxie postopératoire est indispensable et tout syndrome infectieux scrupuleusement pris en charge.
Le risque thromboembolique, surtout dans la période postopératoire, où les plaquettes peuvent atteindre 10 puissance 6/mm3, justifie pendant cette période le dépistage (écho-Doppler) et le recours aux héparines de bas poids moléculaire ou aux antiagrégants.
Complications et séquelles
Si les complications de la splénectomie totale sont bien connues (infections, thromboses, mais aussi abcès sous-phréniques et épanchements pleuraux), les splénectomies partielles ou les prothèses périspléniques (charlottes) exposent à des risques spécifiques : hématome intraparenchymateux ou sous-capsulaire menaçant de rupture secondaire, abcès, faux anévrismes, qui seront diagnostiqués et traités par artériographie et embolisation ; le risque en est à la rupture secondaire, le plus souvent précoce, mais qui a pu être observée jusqu'à deux ans après l'accident initial.
Références
(1) Le Néel J-C, Letessier E. Les lésions spléniques in « Traumatismes de l'abdomen », Association française de chirurgie, 2001 ; 119-133.
(2) Thompson SR and Holland AJA. Current Management of Blunt Splenic Trauma in Children « ANZ J Surg », 2006 ; 76 : 48-52.
(3) Bjerke S, Pohlman T, Saywell RM, Przybylski MP, Rodman GH. Evolution : not Revolution : Splenic Salvage for Blunt Trauma in a Statewide Voluntary Trauma System. A 10-Year Experience. « Am J Surg »,2006 ; 191 : 413-417.
(4) Sutton E, Bochiccio GV, Bochicchio KRN, Rodriguez ED, Henry S, Joshi M, Scalea T. Long Term Impact of Damage Control Surgery : a Preliminary Prospective Study. « J of Trauma », 2006 ; 61(4) : 831-836.
(5) Verhaeghe P, Fercocq O, Petrequin P, Soler M, Henry X et Stoppa R. Traitement conservateur des traumatismes spléniques de l'adulte. Abstention ou chirurgie ? « Chirurgie », 1993-1994 ; 119 : 691-695.
(6) Huscher CGSQ, Mingoli A, Sgarzini G, Brachini G, Ponzano C, Di Paola M, Modini C. Laparoscopic Treatment of Blunt Splenic Injuries : Initial Experience with 11 Patients « Surg Endos. and other Interv Techniques », 2006 ; 20 (9) : 1423-1426.
(7) Bessoud B, Denys A, Calmes J-M, Madoff D, Qanadli S, Schnyder P, Doenz F. Nonoperative Management of Traumatic Splenic Injuries : is there a Role for Proximal Splenic Artery Embolization ? « Amer J Roentgenology »,2006 ; 186 ; 779-875.
S. TOUBON/« LE QUOTIDIEN »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature