Plus tout à fait le même
Parler de troubles du comportement gênants pour l'entourage ne doit pas faire penser à de l'agressivité ou de la violence. Il s'agit plutôt d'une certaine façon d'être qui fait que les proches, tout en reconnaissant les thèmes de prédilection, les préoccupations habituelles du patient, ont pourtant la sensation qu'il n'est plus tout à fait le même. Cette façon d'être associe, d'une part, des troubles de la représentation du corps et de l'espace, dont la rééducation incombe à des orthophonistes familiers de cette pathologie, et, d'autre part, des troubles de la relation à l'autre.
Troubles de la représentation du corps et de l'espace
Après un AVC droit, certains patients semblent ne pas se rendre compte de leur hémiplégie gauche (anosognosie), et cela même s'ils savent avoir eu un accident cérébral ou se plaignent de leur déchéance. Généralement, l'anosognosie disparaît rapidement, mais le patient peut continuer à sous-estimer ses difficultés motrices ou intellectuelles. Il peut ainsi tomber pour s'être levé seul, malgré les consignes de prudence, ou sembler peu motivé en rééducation.
Négligence spatiale unilatérale
La négligence spatiale unilatérale, aussi appelée héminégligence, est une tendance à ne pas s'intéresser au côté gauche de l'espace et/ou du corps. Ce n'est pas la perception (voir, entendre, sentir) qui est altérée. Tout se passe comme si le patient n'avait plus de représentation de l'espace gauche ou n'y prêtait plus attention. Les patients héminégligents peuvent ainsi ne manger que la moitié droite du contenu de leur assiette, ne pas réagir aux sons provenant de la gauche, ignorer les personnes situées de ce côté, heurter le bord gauche de l'encadrement en passant une porte. Cette « ignorance » du côté gauche peut entraver toutes les tâches de la vie quotidienne, par exemple la toilette, le patient ne rasant ou ne maquillant qu'une moitié de visage, etc. Le patient peut être incapable de s'habiller ou de ranger ses affaires en raison non pas du handicap moteur, mais du trouble de la représentation de l'espace. La lecture peut devenir difficile et désagréable, parce que le patient saute des mots, des phrases ou des paragraphes, ou ne lit que la moitié droite d'une page (il peut ainsi se plaindre que le programme du jour ne figure pas dans le programme télé). L'écriture, le calcul, peuvent aussi devenir difficiles.
Désorientation topographique
Le patient peut être incapable de s'orienter dans un trajet nouveau, voire se perdre dans les lieux qu'il connaissait. Il a en général des difficultés à s'orienter sur un plan. A la désorientation dans l'espace peut s'ajouter une difficulté à estimer l'heure ou la durée.
Somatoparaphrénie
Certains patients hémiplégiques gauches s'adressent à leur main paralysée, la réprimandent, lui demandent de les aider, lui donnent un petit nom ou en parlent comme d'une personne à la fois étrangère et familière. L'intérêt de ce symptôme est de condenser un trouble de la représentation de soi comme individualisé, séparé de l'autre, avec l'altération de la représentation du corps.
Tous ces troubles régressent généralement avec le temps, mais peuvent réapparaître en cas de stress ou de fatigue. Les difficultés d'habillage peuvent être particulièrement persistantes.
Troubles de la relation à l'autre
Dysprosodie, troubles de la reconnaissance des émotions et du contenu implicite des paroles de l'interlocuteur
Certains patients semblent avoir perdu la prosodie, la mélodie de la parole. Cette dysprosodie s'intègre dans un trouble complexe de la relation à l'autre. En effet, les lésions de l'hémisphère droit perturbent non seulement l'expression prosodique des émotions, mais aussi la reconnaissance des émotions d'autrui à partir de la prosodie et de la mimique faciale.
En outre, ces patients peuvent mal interpréter les intentions de leurs interlocuteurs si elles ne sont pas verbalisées explicitement. Par exemple, un compliment exprimé sur un ton ironique ou une menace « pour rire » seront pris au premier degré ; métaphores, analogies ou proverbes peuvent aussi être mal interprétés.
Troubles de l'adresse à l'autre
Certains patients s'adressent à leurs interlocuteurs de façon indifférenciée, communiquant des informations personnelles à de trop nombreux « confidents ».
Troubles de la reconnaissance des personnes
Certains patients font de fausses reconnaissances, croyant réaliser les rencontres qu'ils attendent ou désirent. L'incapacité à reconnaître les visages (prosopagnosie) est beaucoup plus rare.
Parmi les rares troubles psychiatriques post-AVC, ceux qui consistent à identifier un même persécuteur sous les traits des divers interlocuteurs (syndrome de Frégoli) ou à croire que les proches ont été remplacés par des sosies (syndrome de Capgras) sont assez spécifiques des localisations droites.
Attitudes de type paranoïaque
La dépendance de fait liée aux séquelles, la nécessité d'être «rééduqué» sont parfois vécues sur un mode persécutif : le patient se plaint d'être en butte à des ordres arbitraires, des réprimandes, des jugements de valeur négatifs.
En pratique
Tous ces troubles peuvent amener le patient à se plaindre de ses proches : minimisant ses propres difficultés à accuser sa famille de l'infantiliser. Plus souvent, c'est l'entourage qui se plaint du « manque de motivation », de la « mauvaise volonté » du patient, du désordre matériel qui l'entoure. Il faut savoir dédramatiser la situation, expliquer les origines neurologiques de troubles en apparence « psychologiques ». Ainsi, par exemple, si un patient a une présentation « négligée » après un AVC droit, ce n'est le plus souvent pas par mauvaise volonté, mais à cause de l'héminégligence gauche. L'ignorance ou l'indifférence apparentes face au handicap ne sont pas forcément à traiter comme des réactions psychologiques de défense. Il est important pour l'entourage de comprendre que c'est toute la perception du monde qui, transitoirement ou définitivement, est subtilement altérée pour le patient. Il ne sert donc à rien de s'opposer à lui de front. C'est aux rééducateurs qu'il incombe de faire prendre conscience au patient de ses difficultés. Le rôle de la famille est plutôt de l'aider lorsque c'est nécessaire et de lui proposer des activités stimulantes. Echanger avec le kinésithérapeute ou l'orthophoniste peut être précieux pour la famille et le médecin.
Bibliographie
(1) A. Carota, J.-M. Annoni, L. Piccardi, J. Bogousslavsky (2005). Syndromes majeurs de l'hémisphère mineur. EMC-17022 E 10.
(2) C. Morin. Comportement et lésions hémisphériques droites (2006). In : « Comportement et lésions cérébrales ». Actes des 19es Entretiens de la fondation Garches, eds P. Azouvi, J.-M. Mazaux, P. Pradat- Diehl. Paris : Frison Roche, pp. 102-114.
(3) C. Morin, S. Thibierge. (2004) L'image du corps en neurologie, de la cénesthésie à l'image spéculaire. Apports cliniques et théoriques de la psychanalyse. « L'Evolution psychiatrique », 69, 417-430.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature