Ensemble de réactions
Le comportement correspond à un ensemble de réactions, objectivement observables, d’un organisme qui agit en réponse aux stimulations venues du milieu intérieur ou du milieu extérieur dans lequel il évolue. Pour interpréter les comportements, il est donc nécessaire de prendre en compte à la fois les caractéristiques biologiques, psychologiques et environnementales, propres à chaque patient, dans une approche biopsychosociale.
Une maladie chronique spécifique
La sclérose en plaques (SEP) est la maladie neurologique non traumatique la plus fréquente de l’adulte jeune, faisant probablement intervenir à la fois des facteurs immunitaires, génétiques et d’environnement. Dans 80 % des cas, la maladie débute par une forme à poussées, appelée forme rémittente. Pour la moitié des patients, après dix ans d’évolution, la phase de poussées se transforme en phase chronique progressive, appelée forme secondairement progressive. Dans 15 % des cas, les premiers symptômes s’installent progressivement en quelques mois, sans poussée ; elle est primitivement progressive (forme primaire progressive) (Tourbah et Moreau, 2004). De 20 à 30 % des formes de la maladie sont considérées comme « bénignes », c’est-à-dire qu’il existe un faible handicap après quinze ans d’évolution. Cependant, au début de la maladie, il est impossible de prédire, pour un patient donné, l’évolution du handicap que pourra entraîner la maladie après dix ou vingt ans d’évolution. C’est pourquoi la SEP est vécue par les patients et les proches comme une véritable « épée de Damoclès ».
Malgré les récents progrès thérapeutiques, les altérations physiques, sensorielles et psychiques (dimensions cognitive et émotionnelle) entraînent, parfois à court terme, mais plus généralement à moyen et long terme, une restriction dans les activités et la participation à la vie professionnelle et sociale.
L’expression des troubles cognitifs et affectifs
•Les troubles cognitifs.
Si les troubles cognitifs sont décrits chez 40 à 70 % des patients, au cours de l’affection, et dans 30 % des cas dès le début de la maladie, ils sont, le plus souvent, légers à modérés. Les proches attribuent les difficultés du patient à un manque de motivation, une « absence d’effort ».
Bien que rare, 5 à 20 % des patients présentent une atteinte cognitive sévère. Sur une population de 20 561 patients atteints de SEP, Buchanan (2005) compare des SEP non déments et des SEP avec une démence (n = 2 235 sujets). Les SEP déments présentent plus fréquemment des troubles de l’humeur et du comportement. Ils ont des déficits de mémoire, des troubles de la pensée et de la conscience, une humeur triste, sont anxieux et impulsifs. Ils manifestent des difficultés d’adhésion aux soins.
•Dépression et anxiété.
La présence de syndromes dépressifs est rapportée par de nombreux auteurs, avec une prévalence de la dépression, sur la vie entière, estimée à 60 % (Siegert, 2005), d’intensité généralement modérée. Elle est précoce, chez 20 à 30 % des patients dont la maladie évolue depuis moins de deux ans. L’anxiété est mal évaluée, pourtant, elle représente un symptôme invalidant dans 37 % des cas et, associée à la dépression, elle aggrave le risque suicidaire. Associés au syndrome anxieux et dépressif, les facteurs majorant le risque de suicide sont la précocité et l’aggravation de la maladie, les sujets jeunes de sexe masculin, la comorbidité dépression-alcoolisme, l’isolement social et la présence de troubles psychiatriques antérieurs (Feinstein, 2002).
•Syndrome bipolaire et euphorie.
La survenue de syndromes bipolaires, alternant dépression et épisode maniaque, est inférieure à 10 %. Elle est plus fréquente que l’apparition d’un état maniaque isolé et concerne des sujets aux antécédents dépressifs personnels ou familiaux.
L’euphorie correspond à une disposition permanente de l’humeur qui se manifeste par un état de bien-être, de gaieté, contrastant avec l’état physique. Elle est rare au début de la maladie. Fishman (2004) confirme la présence de l’euphorie, dans 10 % des cas, dans des SEP secondairement progressives, en lien avec des déficits cognitifs sévères, un indice lésionnel élevé à l’IRM et un fort sentiment de détresse de l’accompagnant.
•Rire et pleurer spasmodiques et labilité émotionnelle.
Le rire et le pleurer spasmodiques sont toujours d’origine neurologique et sont, parfois, en contradiction avec la nature du stimulus. Ils sont décrits dans 7 à 10 % des cas dans des SEP dont la maladie évolue depuis plus de dix ans, en phase progressive, avec un score de handicap supérieur à 6,5 sur une échelle à 10 points à l’Edss de Kurtzke. Ce symptôme est corrélé significativement à une atteinte cognitive caractérisée. L’existence de lésions pontiques expliquerait le rire et le pleurer spasmodiques.
Des perturbations à type d’hyperexpressivité émotionnelle, sous la forme d’incontinence (perte de contrôle de l’expression émotionnelle) et de labilité affectives (changements rapides et répétés d’affects), sont fréquentes et précoces. Elles ne sont pas liées à la dépression, mais leur relation avec les perturbations cognitives est imparfaitement évaluée.
•Le fonctionnement alexithymique.
Fréquemment, les patients atteints de SEP ont tendance à aborder leurs difficultés de manière factuelle, c’est-à-dire pauvre en expression affective. Cette présentation clinique ne doit pas être confondue avec le tableau psychopathologique classique de « belle indifférence » décrit dans le comportement que donne à voir le sujet hystérique. La présence d’une véritable dissociation entre l’expérience intérieure de l’affect et l’expression de celle-ci est à rapprocher du concept d’alexithymie. L’alexithymie se définit comme une absence de prise de conscience des affects, une difficulté de verbalisation du vécu émotionnel, une pauvreté fantasmatique. L’hypothèse d’une déconnexion calleuse a donc été évoquée pour rendre compte du comportement alexithymique des patients SEP (Pelletier, 1996).
Le vécu de fatigue et de douleur
Le vécu subjectif de fatigue est présent chez la majorité des personnes atteintes de SEP. Il s’agit d’un symptôme pour lequel les patients se disent mal compris par l’entourage. Cette fatigue persistante est intriquée au ralentissement global et parfois aux difficultés motrices et cognitives. Les principales conséquences sont une réduction des activités et un sentiment d’impuissance.
Le handicap lié aux douleurs de la SEP est sous-évalué, alors que la douleur est estimée entre 53 et 86 % des cas (Ehde, 2003). L’origine de la douleur est variée : douleurs neurogènes paroxystiques, douleurs neurogènes continues, douleurs des poussées, contractures (spasticité), douleurs iatrogènes, douleurs secondaires (lombalgies, douleurs urinaires, coliques…). Il est important de comprendre la place que la fatigue et la douleur chronique occupent dans certains comportements d’irritabilité, de retrait, d’isolement, de dévalorisation de soi, de passivité, de découragement et d’angoisse teintée d’affects dépressifs.
Comment les patients vivent-ils la maladie ?
Les mécanismes de défense correspondent à des agencements de phénomènes psychiques susceptibles d’une observation et d’une analyse scientifique pour protéger le Moi (Laplanche et Pontalis). Ce sont des processus psychiques visant à réduire ou à annuler les effets désagréables des dangers réels ou imaginaires. Ils visent à remanier les réalités internes ou externes. Leurs manifestations, à travers les comportements, idées et affects, peuvent être inconscientes ou conscientes. Certaines défenses sont à visée adaptative quand elles sont spécifiques à une menace particulière, qu’elles réduisent la douleur psychique, canalisent les sentiments mais ne les bloquent pas et lorsqu’elles sont orientées vers l’anticipation. Les mécanismes de défense utilisés produisent des conduites classiquement décrites dans les maladies chroniques, telles que : déni, opposition, inhibition, persécution, soumission, attitude de dépendance, mais aussi collaboration au projet de soin, recherche de soutien d’autrui, altruisme, sublimation (réévaluation positive de la situation maladie, à travers le sens que le patient attribue aux valeurs existentielles).
Les réactions et l’adaptation à la maladie dépendent d’un ensemble de facteurs. Il s’agit de la personnalité antérieure à l’affection, de la qualité du soutien intrafamilial au moment de l’annonce du diagnostic et au cours de l’évolution de la SEP, des compétences d’ouverture sociale du sujet, ainsi que de sa relation avec le médecin référent et les intervenants médico-sociaux. Ceux-ci représentent un point d’ancrage et un repère, dans le temps, sur le plan matériel et émotionnel. En effet, la relation thérapeutique, fondée sur la confiance, limite l’errance médicale en jouant un rôle « stabilisateur » au plan émotionnel et comportemental.
Conclusion
Dans la sclérose en plaques, si les troubles cognitifs paraissent en rapport avec les lésions cérébrales, la physiopathologie des désordres affectifs et comportementaux paraît plus complexe. Elle fait intervenir, d’une part, les lésions cérébrales, l’aggravation des incapacités somatiques et, d’autre part, les réactions individuelles à la maladie.
Montreuil, M. (2006). Comportement et sclérose en plaques. Dans : P. Azouvi, J.-M. Mazaux, P. Pradat-Diehl. Comportement et affection neurologique (pp. 115-125). Paris : Frison-Roche.
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