REFERENCE
1840, Moreau de Tours
Si la connaissance des effets délétères du cannabis, soulignés dès 1840 par Moreau de Tours, fut quelque peu éclipsée par la banalisation de sa consommation, plusieurs publications récentes sont alarmantes. Elles confirment que cette drogue, pour douce qu'elle soit, est un facteur de risque de schizophrénie.
Elles ont surtout le mérite de renforcer l'hypothèse causale, en apportant un éclaircissement sur les possibles biais d'interprétation causale de la forte corrélation existant entre la consommation de cannabis et le trouble schizophrénique. De fait, elle aurait pu être attribuée à :
- une prédisposition commune (biologique, génétique, trait de personnalité...) à cette toxicomanie et à la schizophrénie ;
- une consommation associée à d'autres drogues plus susceptibles d'avoir un effet sur la survenue de symptômes psychotiques (par exemple les amphétamines) ;
- l'utilisation de cannabis par des adolescents prépsychotiques trouvant dans son effet sédatif une automédication à leurs angoisses, le cannabis ne jouant qu'un rôle précipitant.
Cohorte de naissances de Nouvelle-Zélande
Dans une « cohorte de naissances » de Nouvelle-Zélande, 1 037 sujets nés en 1972 et 1973 à Dunetin ont été suivis de manière prospective, de l'âge de 11 ans à 26 ans. Ils furent répartis en trois groupes :
- 65 % n'ayant jamais utilisé de cannabis, ou seulement une fois ou deux ;
- 31 % en ayant consommé plus de trois fois à partir de 18 ans ;
- 4 % en ayant consommé plus de trois fois dès l'âge de 15 ans.
Après avoir contrôlé les groupes pour l'absence de symptômes psychotiques antérieurs (bilan à l'âge de 11 ans), les auteurs (Arseneault et coll., 2002) ont retrouvé une surreprésentation des cas de schizophrénie, à l'âge de 26 ans, chez les consommateurs de cannabis, particulièrement dans le groupe dont l'usage remontait à l'âge de 15 ans (risque multiplié par 4), dont 10 % avaient développé une schizophrénie. L'absence de symptômes psychotiques préexistants à la consommation de cannabis corrélée au trouble schizophrénique, l'absence de corrélation avec la consommation d'autres drogues et l'augmentation du risque de schizophrénie en fonction de l'ancienneté de l'exposition au cannabis plaident en faveur de l'hypothèse causale.
Cohorte suédoise
Dans la cohorte suédoise, dont les résultats de suivi à 27 ans viennent d'être publiés (on ne disposait jusqu'alors que des résultats à quinze ans), Zammit et coll. (2002) apportent d'autres arguments. Ils retrouvent, parmi les 50 087 hommes suivis depuis leur service militaire (1969-1970 à l'âge de 18-20 ans), un taux croissant d'hospitalisations pour schizophrénie (entre 1970 et 1996) selon le degré d'exposition au cannabis :
- absence de consommation : 0,6 % ;
- deux ou trois fois : 0,6 %, odd ratio : 1 (0,5-2) ;
- de quatre à dix fois : 1,1 % odd ratio : 1,9 (1-3,7) ;
- de cinq à dix fois : 1,9 % odd ratio : 3,2 (1,8-5,7) ;
- plus de 50 fois : 3,8 % odd ratio : 6,7 (4,5-10).
Ces auteurs du prestigieux Karolinska Institute montrent, en outre, que l'usage d'autres drogues ne modifie que peu la significativité des résultats, qui demeurent également statistiquement significatifs après ajustement sur de possibles variables confondantes comme des manifestations possiblement prodromiques de la schizophrénie (mauvaise intégration sociale, sensibilité interpersonnelle, pauvreté des relations amoureuses et amicales...).
Etude hollandaise
Une troisième étude, hollandaise cette fois, rend compte d'un suivi prospectif (trois ans) de 4 104 sujets recrutés en population générale (4 045 sujets sans symptômes psychotiques et 59 ayant un trouble psychotique). Elle montre une forte association entre la consommation de cannabis et la schizophrénie à l'inclusion, et la survenue chez les consommateurs de cannabis, indemnes de troubles psychotiques, de troubles schizophréniques après un, puis trois ans de suivi. L'intérêt de cette étude, entre autres, est qu'elle ne s'est pas limitée aux cas de psychose repérés lors des hospitalisations (comme dans la cohorte suédoise), mais qu'elle a évalué, avec un instrument structuré de diagnostic, l'ensemble des troubles quelle que soit leur gravité. Elle a ainsi pu objectiver la continuité du risque entre la survenue des symptômes, leur sévérité, et les troubles nécessitant des soins, dont l'hospitalisation. Elle souligne également l'indépendance du risque lié au cannabis et celui lié à d'autres drogues, et le fait qu'il ne résulte pas que d'un effet immédiat du produit.
Un rôle déterminant
L'invalidation des biais possibles de l'interprétation causale de la corrélation entre cannabis et schizophrénie, dans ces trois études (publiées dans le « British Medical Journal » et l'« American Journal of Epidemiology »), que ce soit l'effet-dose (linéarité du risque selon la quantité de cannabis consommé), la précession de la consommation sur la survenue des symptômes prodromiques schizophréniques, l'effet prolongé ou l'augmentation du risque selon l'ancienneté de l'exposition, ou encore l'indépendance vis-à-vis d'autres drogues, plaide en faveur du rôle déterminant du cannabis dans l'incidence de la schizophrénie. Ces conclusions ne sont pas surprenantes, dans la mesure où l'on connaît les interactions qui existent entre le tétra-hydro-cannabinol et les systèmes dopaminergiques qui sont au cœur du processus physiopathologique schizophrénique.
Le cannabis, exposant au risque de schizophrénie et aggravant le pronostic des troubles psychotiques, ne devrait donc plus être considéré comme un produit inoffensif comme l'ont suggéré certains pour argumenter sa dépénalisation.
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