La stratégie de prise en charge des rhumatismes inflammatoires chroniques est depuis quelques années ciblée sur la rémission. Pour y parvenir, les praticiens suivent une démarche d’intensification thérapeutique, le traitement étant ajusté tant que la rémission n’est pas atteinte (contrôle serré). Cette approche fait l’objet de recommandations nationales et internationales, « mais on peut toutefois s’interroger sur la définition même de la rémission », remarque le Pr René-Marc Flipo. Si de façon très large elle peut être définie comme la suppression de l’inflammation, les critères utilisés sont variables. Dans la polyarthrite rhumatoïde (PR), ce peut être un DAS 28 ≤ 2,6 ou, selon l’EULAR et l’ACR 2010, au maximum une articulation gonflée, une articulation douloureuse, une CRP à 1mg/L et une EVA à 1.
Dans la PR, les praticiens se basent sur le DAS 28 et sur leur évaluation globale : plus de douleur inflammatoire, de gonflement clinique, de syndrome inflammatoire biologique, de progression structurale et, idéalement, d’anti-inflammatoires stéroïdiens ou non stéroïdiens. Mais pour certains, il faut aller vers une rémission plus profonde où il n’y aurait également plus d’inflammation infra-clinique (qui persiste en échographie et/ou IRM chez 80% des patients considérés en rémission), voire une rémission totale avec négativation des auto-anticorps. « Les traitements actuels ne permettent pas souvent d’atteindre ce dernier objectif, très ambitieux, mais la rémission, avec tous les aléas liés à sa définition, reste l’objectif à atteindre dans les PR débutantes ».
Un tiers à moitié des patients en rémission
« Plus la prise en charge est précoce, plus cet objectif est atteignable », poursuit le Pr Flipo. Mais quand est-il dans la vraie vie ? Selon l’étude contrôlée néerlandaise BEST comparant quatre stratégies dans des PR débutantes, seuls 32% des patients étaient en rémission (DAS 44 <1,6) à un an, quelle que soit la stratégie thérapeutique initiale. Dans le registre national suédois, qui a suivi de façon prospective plus de 29 000 patients entre 1995 et 2015, 41,9 % des patients étaient en rémission prolongée, de plus de 6 mois, selon le critère DAS 28 ≤ 2,6 (17,5% avec les critères de rémission définis par l’ACR/EULAR) [1]. Le pourcentage de rémission a augmenté au fil du temps, passant de moins de 5% au début des années 1990 à 45% en 2009.
Des résultats similaires sont rapportés dans le registre prospectif britannique BSR-BR-RA, qui inclus plus de 14 000 patients recevant un traitement biologique pour une PR : une rémission prolongée (au mois 6 mois) a été obtenue dans 14,9% des cas (2). « Il apparait ainsi que si l’objectif de la rémission reste noble (amélioration du bien-être du patient, moindre retentissement algofonctionnel et absence de destruction structurale), il n’est atteint que chez un tiers à la moitié des patients », souligne le Pr Flipo. Une fois la rémission atteinte, en fonction des risques et des coûts directs des traitements, on peut envisager une désescalade thérapeutique
Comment réduire le traitement ?
Les recommandations préconisent d'abord de réduire puis d’arrêter la corticothérapie, traitement peu coûteux mais associé à un risque iatrogène important. Puis dans un second temps, pour des raisons surtout économiques, de réduire et arrêter le traitement biologique avant de diminuer le traitement de fond synthétique. Les études de désescalade thérapeutique sont peu nombreuses. Globalement, le maintien de la biothérapie fait toujours mieux que la désescalade. Selon l’étude STRASS qui avait évalué l’impact de l’espacement des injections, 60 % des patients en rémission l'étaient toujours à un an. Mais dans l’étude TARA, le taux de rechute est de plus de 50 % à 2 ans. Dès lors, « dans un pays comme la France où les motivations économiques viennent après les considérations médicales, faut-il toujours envisager une désescalade thérapeutique chez un patient qui va bien sous traitement biologique ? », interroge le Pr René-Marc Flipo. Et ce d’autant plus qu’on ne connait pas son impact à long terme sur l’inflammation chronique et le risque d’accident cardiovasculaire associé.
« Il faut en pratique tenir compte du profil du patient et discuter avec lui de ses craintes et attentes. Chez ceux qui donnent la priorité à l’efficacité et craignent les rechutes, la désescalade thérapeutique n’est pas forcément une bonne démarche. A l’inverse, pour ceux qui ont peur des effets secondaires des traitements, l’espacement des injections, voire l’arrêt à terme du traitement biologique, semble être plus approprié », conclut le Pr René-Marc Flipo.
D’après un entretien avec le Pr René-Marc Flipo, Lille.
(1) Einarsson JT et al. Rheumatology (Oxford). 2019 Feb 1;58(2):227-236
(2) Hamann PD et al. Rheumatology (Oxford). 2019 Dec 1;58(12):2162-2169