Ces hommages sont une sorte d'impératif catégorique : il faut honorer la mémoire de ceux qui ont servi, jusqu'à leur dernier souffle, les principes républicains. Il peut bien sûr y avoir, au niveau du pouvoir politique, l'intention à peine cachée de rappeler au peuple qu'on ne règle rien par le crime et tout grâce au dialogue et à la représentation nationale. L'histoire d'Hubert Germain, un colosse qui, à moins de vingt ans, a refusé la défaite acceptée par Pétain, et s'est rendu tout seul à Londres pour aider le général de Gaulle, est exemplaire : il a participé à toutes les terribles batailles de la Seconde Guerre mondiale, il a été parmi les soldats de la France libre qui ont vaincu les Allemands à Bir Hakeim puis El Alamein, il a débarqué en France, il a été mêlé à la bataille de Monte Cassino, en Italie, où nos troupes ont rencontré une résistance allemande exceptionnelle, il a été blessé plusieurs fois et soigné chaque fois, de sorte qu'il repartait inévitablement pour la guerre.
Il raconte :« J'étais à Londres, face au Général qui m'a dit "Germain, j'ai besoin de vous". Vous savez, un gosse de 18 ans que le Général considère comme utile, cela vous fait passer un frisson dans le dos ». Coïncidence miraculeuse entre le courage et la gratitude accordée à plus puissant que vous, entre l'abnégation et le don de soi. La Libération, hélas, n'est plus le point d'orgue de la mémoire d'un peuple fier. Elle est notre histoire, celle de Français mais aussi d'étrangers qui ont sacrifé leur vie pour défendre notre pays. Mais personne n'est obligé d'accorder une telle importance à ces souvenirs. Le cancer des foules exaspérées, c'est qu'elles ne comprennent rien à cette foi laïque et républicaine, qu'elles ne se sentent nullement concernées.
L'affaire Paty
Samuel Paty est un enseignant qui avait parfaitement compris la difficulté qu'il y a, dans sa profession, à enseigner ce que certains enfants, dont le cerveau est souvent lavé par leurs propres parents, rejettent de toutes leurs forces au nom de ce qu'ils croient être leur particularisme religieux. Ils prennent plaisir ou trouvent un peu de confort en se marginalisant. Il s'est passé, dans ce collège des Yvelines, une tragédie shakespearienne fondée sur un complot contre M. Paty. Des enfants ont donné, contre monnaie sonnante et trébuchante, des informations à l'assassin. Une jeune fille, absente ce jour-là, a fourni un témoignage accablant contre Samuel Paty. Elle a menti, son père, pétri de haine, l'a incitée à accuser l'innocent Paty. Un sulfureux pseudo-imam a soufflé sur les braises.
On nous aurait raconté cette histoire dans un roman que nous aurions dénoncé l'imagination excessive de l'auteur. Notre vigilance, acquise au bout d'attentats trop fréquents, n'avait pas mesuré la barbarie qui sommeille dans des âmes troublées jusqu'à ce qu'elle se transforme, au terme de sa maturation, en une décapitation. L'horreur, c'est le geste, bien sûr. C'est aussi le sang-froid d'un jeune assassin dont nous aurions pu croire qu'il aurait reculé devant le sang versé, devant l'arrogance d'un acte qui consacre sa propre monstruosité, devant la cruauté qui fait de lui un paria. C'est son âme qu'il assassine. Or il n'existe aucune vraie parade contre un tel déchaînement de violence. Un collège tranquille, et, à quelques pas, avant la tombée de la nuit, un coin de rue désert et pacifique, comme à Rambouillet où une policière a été poignardée, comme pour l'assassinat d'un policier et de son épouse dans leur foyer non loin de Mantes-la-Jolie. L'écran paradisiaque se déchire, dévoile un enfer d'autant plus terrifiant qu'on ne se doutait pas qu'il fût là, sous nos yeux mais invisible.
La fermeté et la détermination de la société française ne doivent pas être polluées par l'idée de dosage ; nous ne gagnerions rien à nous montrer magnanimes avec des criminels qui se prennent pour les envoyés de Dieu. Il faut qu'ils cessent de nuire. Nous devons à Samuel Paty (mais aussi à Hubert Germain qui n'a pas cent fois risqué sa vie pour que des terroristes islamistes nous ôtent la nôtre) de faire en sorte que notre justice châtie les responsables d'un crime abominable.