La comparaison s'arrête là : la gauche n'est menaçante ni en France ni aux États-Unis. En revanche, le « trumpisme » n'a lâché le pouvoir qu'à contrecœur et a bel et bien l'intention de se venger, de même que Marine Le Pen se voit déjà l'Élysée, sans fanfaronnerie puisqu'elle est à peu près sûre de se retrouver au second tour, et pas forcément avec Macron comme adversaire. Le problème vient ce que, dans les deux pays et dans de nombreuses démocraties parlementaires, le néo-fascisme n'est plus perçu comme un danger, mais comme la solution. La faute en est aux réseaux sociaux et à la communication, devenue, avec Internet, une fabrique de mensonges qui accuse les modérés ou démocrates de se trouver à la source du mécontentement et propose une alternative radicale susceptible d'apporter aux populations les jours radieux dont elles rêvent.
L'extrême gauche utilise la même méthode, mais avec un succès limité. De sorte que, en dépit du rôle qu'elle peut jouer dans le domaine de l'immigration et à cause de l'islamo-gauchisme, elle n'a pratiquement aucune chance, en France ou États-Unis, de conquérir le pouvoir dans un avenir prévisible. Cette crise de la démocratie n'est pas récente. Elle était inscrite dans la difficulté, pour un régime modéré et respectueux de la Constitution, de se battre avec des armes moins efficaces que celles des mouvements autoritaires. Un simple exemple : le 6 janvier dernier, quelques milliers de voyous électeurs de Trump ont mis à sac le Capitole, ce qui constitue une monstruosité ou, si vous préférez, un blasphème laïque. Quand il a été question de lancer une enquête parlementaire sur l'appel à la subversion lancé par Trump, alors président en exercice, les élus républicains ont bloqué l'initiative démocrate.
Le plus féroce des régimes
Parmi les manifestants, beaucoup ont été interpellés et passeront en jugement. Mais le principal coupable est indemne et continue à narguer le pouvoir. Seule la lente justice viendra à bout de lui, peut-être avant les rendez-vous électoraux. En tout cas, il a bien l'intention de se présenter de nouveau. Joe Biden, cependant, peut déjà se targuer d'avoir un bilan positif, dans la lutte contre la pandémie, dans le retour des Américains à l'emploi, dans le rebond de l'économie. Emmanuel Macron ne peut pas en dire autant : s'il a agi avec une certaine célérité sur tous ces fronts, la rumeur publique continue, non sans violence, à lui faire la pire des réputations. On est même allé, notamment à droite, à le juger « pire » que Marine Le Pen et toutes les manœuvres des élections régionales sont fondées sur ce principe diffamatoire. Lequel expliquerait que, en Paca, l'état-major des Républicains (LR) préfère l'alliance avec le Rassemblement national (RN) qu'avec la République en marche (REM).
Le monde a la mémoire courte. Il ne sait plus que les pires des régimes naissent légalement dans des sociétés troublées et insatisfaites et que le vote en faveur de l'extrême droite conduit, comme ce fut le cas en Allemagne et en Italie à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, au plus féroce des régimes. D'une certaine manière, l'électorat de Trump, attaché à ses particularismes, méfiant à l'égard du fédéralisme, têtant matin et soir le biberon de la haine, a trouvé en son totem cette forme de libération qui n'attendait que l'ouverture des vannes et s'est déversée sur le pays comme une maladie infectieuse. Il faut donc identifier et calibrer le danger. Il faut lutter contre lui par la force de persuasion et en lui proposant des solutions susceptibles de satisfaire les éternels mécontents. Tout le monde ne l'a peut-être pas remarqué, mais les efforts de Biden et de Macron vont exactement dans ce sens. Ce qui ne veut pas dire que, 87 ans après, le peuple américain et ceux d'Europe ne sont pas tentés par le néo-nazisme