Depuis plusieurs mois, le constat est unanimement partagé : l’incidence du syndrome prolongé lié au Covid-19 ou Covid long est en baisse. « Le nombre de nouveaux cas a baissé de 20 à 30 %, affirme en ouverture du symposium « Covid, after the storm » (1) le Pr Thierry Carmoi, chef du service de médecine interne de l’Hôpital Américain de Paris. Il est possible que ce soit lié à l’augmentation de la couverture vaccinale. L’arrivée du variant Omicron a pu jouer aussi. Il s’agit peut-être d’un effet de la vaccination surajouté à une médiation différente de la réponse immunitaire. On va en apprendre plus au fil du temps. »
La prévalence du Covid long reste difficile à évaluer. « On s’accorde en général pour dire que 10 à 20 % des malades ont des symptômes à trois mois », indique le Pr Christophe Rapp, président de la Fédération française de médecine de voyage, professeur au Val-de-Grâce et praticien à l’Hôpital Américain de Paris.
Une exploration clinique souvent infructueuse
Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un Covid long correspond à des symptômes survenant chez toute personne ayant eu une infection confirmée ou probable par le coronavirus, généralement au cours des trois mois qui suivent l’apparition du Covid-19, avec des symptômes qui durent au moins deux mois et qui ne peuvent être expliqués par un autre diagnostic. Les symptômes retenus par l’OMS sont la fatigue, l’essoufflement, les dysfonctionnements cognitifs, mais aussi d’autres symptômes qui ont généralement un impact sur le fonctionnement quotidien.
La définition est volontairement floue, tant les présentations cliniques sont variées. « Ce syndrome post-Covid est nébuleux pour les soignants comme pour les patients, renchérit le Pr Carmoi. Quand ces derniers arrivent en consultation avec une liste conséquente de symptômes, on est frustré de voir que les explorations ne donnent jamais rien. » Les méthodes d’exploration ne sont en outre pas homogènes, ce qui complique l’établissement d’une littérature sur le sujet. « Il faut travailler à une définition standardisée du temps de suivi initial et harmoniser les mesures de suivi des patients », estime le Pr Samuel Selesnick, ORL à l’université de médecine Weill Cornell à New York, qui a pu le constater dans une méta-analyse menée sur les troubles ORL associés au Covid long.
« La difficulté est que les symptômes peuvent intervenir après un intervalle libre plus ou moins long et même fluctuer par la suite, explique le Pr Rapp. En France, on parle plus facilement de symptômes persistants. Le consensus s’est formé autour d’une durée d’au moins quatre semaines, mais avec des symptômes polymorphes et polysystémiques. » Il est très important de marquer la différence entre les séquelles et le Covid long : « Les patients qui ont fait des formes sévères souffrent de polynévrites, de séquelles neurologiques, de séquelles respiratoires ou de fibroses interstitielles qui sont à distinguer du Covid long, relance-t-il. Les séquelles touchent des patients plus âgés, et plus souvent des hommes. » Alors que le Covid long touche beaucoup les femmes et des patients qui peuvent être jeunes.
Trois groupes identifiés
L’élément de définition majeur retenu par les intervenants reste le retentissement du Covid long sur la vie quotidienne, l’activité professionnelle, la pratique sportive ou le besoin de rééducation. Ces considérations cliniques ont conduit des chercheurs à mener une étude sur 3 762 participants ayant un Covid long (2) : deux tiers n’ont eu qu’un Covid « probable » non confirmé. Les auteurs ont classé les patients en trois groupes.
Dans le premier, il s’agit de symptômes classiques comme la perte d’odorat qui diminuent dans le temps. Le deuxième présente des symptômes plus stables. « Ils sont nombreux, neuropsychiatriques, mais on a le plus grand mal à les démontrer en clinique », analyse le Pr Carmoi. Enfin, vient un troisième groupe avec des troubles très variés qui ne sont pas très présents au début, mais qui explosent avec le temps. « C’est comme s’il y avait un mécanisme immunologique indépendant de l’infection qui se déclenche à distance », remarque le médecin interniste. Il reste néanmoins possible d’agir sur certains symptômes, en particulier sur les tachycardies orthostatiques posturales, qui se caractérisent par une vision brouillée et un brouillard cérébral. « On donne de l’ivabradine pour ce symptôme qui est en fait une dysautonomie », explique le
Pr Rapp.
Concernant le volet neuropsychiatrique, la Pr Faith Gunning, directrice de l’institut Weill Cornell de psychiatrie gériatrique, a étudié les troubles cognitifs dans une cohorte de patients suivis au New York-Presbyterian pour des formes modérées à sévères de Covid-19. « Lors de leur convalescence, environ 77 % des sujets souffraient de troubles cognitifs, dont 30 % de troubles sévères, explique la Pr Gunning. Dans quelques rares cas, cela pouvait aller jusqu’à la démence. Dans les études menées sur le Covid long, les troubles de la concentration touchent 25 % des patients. C’est un chiffre important. »
Quelques pistes explicatives
Les recherches sur d’éventuels marqueurs restent pour l’instant infructueuses, comme le détaille le Pr Rapp : « on s’est interrogé sur le rôle des D-dimères, des lymphopénies, des manifestations auto-immunes avec des anti-corps anti-nucléaires positifs, mais rien de certain ne ressort concernant les raisons qui favorisent les passages à un Covid long. » Les chercheurs s’interrogent aussi sur la possibilité d’un réservoir viral, analogue à ce qui est observé lors des résurgences d’infection par le virus Ebola. « Une équipe des NIH (Instituts nationaux de la santé aux États-Unis, NDLR) a autopsié une centaine de patients et a mis en évidence la présence du Sars-CoV-2 dans tous les organes, explique le Pr Carmoi, qui pointe du doigt un suspect privilégié dans la recherche d’un réservoir viral : le cervelet. Plusieurs hypothèses se dégagent : il se peut que la réaction immunitaire soit retardée dans le cervelet, et il y a aussi la possibilité que le Sars-CoV-2 se réfugie dans cet organe à la faveur d’une vascularite. C’est peut-être une combinaison des deux. »
(1) Symposium Harvey Cushing à l'Hôpital Américain de Paris
(2) H. Davis, eClinicalMedicine, volume 38, août 2021