L'histoire a été racontée dans une enquête remarquable du Time magazine de cette semaine. Les démocrates de tous bords, élus ou électeurs, et aussi les mouvements civiques qui leur sont liés, ont deviné ou prévu ce qui allait se passer le soir du 3 novembre, date de l'élection présidentielle : ou bien Trump déclarait qu'il avait gagné, sur la foi des résultats de la nuit qui décomptaient les suffrages dans les bureaux de vote, sans attendre le comptage final, ou bien il se lançait dans une campagne juridique et médiatique contre des chiffres selon lui truqués. C'est exactement ce qu'il a fait. Il a annoncé sa victoire et, quand le vent a tourné en faveur de Joe Biden le 6 novembre, principalement grâce aux votes par correspondance dont l'immense majorité était composée de voix démocrates, Trump a lancé une meute d'avocats vers les tribunaux des États dont il contestait le verdict.
Le dispositif républicain ayant été largement prévu par le parti démocrate, Joe Biden s'est contenté de demander de la patience à ses troupes. Tous les recours judiciaires ont été déboutés. Trump a multiplié les pressions sur les gouverneurs républicains de certains États, et a laissé son armée de juristes aller jusqu'à la Cour suprême à majorité conservatrice, mais sans succès. Pour une part, l'hostilité des républicains a cédé la place au respect des institutions ; pour une autre part, un consensus s'est produit, qui a réuni le Big Business et le plus grand syndicat national d'ouvriers, l'AFL-CIO. Il n'était plus question pour les entreprises de soutenir un président qui se moquait des lois.
L'ultime erreur de Trump
Le sac du Capitole, largement encouragé et même déclenché par ses discours, a fini par convaincre bon nombre d'électeurs et d'élus républicains que le président sortant avait fait son temps. Trump a tenté de gagner en bafouant la Constitution, il a perdu. Si ses très nombreux électeurs continuent de croire à ses fredaines, il y a assez d'hommes et de femmes aux États-Unis pour soutenir les institutions et les préserver. D'une certaine manière, la révolte des opposants à Trump n'a pas été de nature politique, mais simplement civique. Par une communication intense avec les électeurs, de quelque bord qu'ils fussent, par le porte-à-porte, par le rappel incessant des règles qui régissent le scrutin, ils ont convaincu les abstentionnistes, démocrates ou républicains d'aller voter. Et ils ont protégé un droit essentiel, celui que Trump voulait abolir au moyen d'une entourloupe judiciaire, le droit de voter par correspondance, d'autant plus nécessaire que la participation est grande.
L'attaque contre le Congrès a certainement ébranlé la démocratie américaine dans ses fondements. Non seulement il y a eu cinq morts, mais il est apparu soudainement que le Congrès était à la merci de quelques milliers de sicaires prêts à en découdre et à briser la démocratie par un acte de violence. Cependant, si les services de sécurité ont été incapables d'empêcher l'invasion du bâtiment par les émeutiers, la réaction générale du peuple américain a été de dénoncer cet acte sans réel précédent et d'instaurer le plus vite possible le fonctionnement des institutions.
D'où le second procès en destitution, qui n'est pas le produit de l'hystérie démocrate, mais la recherche d'un châtiment à la mesure du crime qui a été commis. Ajoutons que, sur le plan de la démocratie américaine, les institutions soudain affaiblies ont été réparées. Elles l'ont été par l'alternance et donc l'avènement de Biden. Elles l'ont été par la résistance des tribunaux dans tous les États aux ignobles provocations du président déchu. Certes, les élus républicains ne voteront pas la condamnation de Trump et il n'y a pas lieu de destituer un président qui ne l'est plus. Mais au moins le droit aura triomphé.