Innovation de la réforme Bachelot, l’instauration de cartes sanitaires en médecine de ville a fait couler beaucoup d’encre et salive, l’inquiétude se focalisant sur leur éventuel caractère contraignant. Dans la Meuse, on est passé aux travaux pratiques avant tout le monde. Et le concept est perçu comme une opportunité de relance des installations et de rationalisation des aides en zones rurales, pour la création de maisons de santé notamment.
En quelques années, les maisons de santé sont devenues incontournables. Au plus haut niveau de l’État comme pour les édiles des petites communes rurales, c’est désormais la solution toute trouvée pour répondre à la crise de la démographie médicale. Sauf que si on laissait faire les maires, les maisons de santé pousseraient comme des champignons après la pluie. Faut-il pour autant laisser à l’État le soin de tout planifier ? Les médecins du département de la Meuse ont une petite idée de la réponse après avoir anticipé les SROS ambulatoires que devront mettre en place dès 2010 les Agences régionales de santé.En novembre 2006, le préfet de l’époque décide de faire le point sur la démographie des professionnels de santé et met en place des groupes de travail. Celui sur les « conditions d’exercice des professionnels » est confié au Conseil départemental de l’Ordre.
Les perspectives sont en effet particulièrement alarmantes dans ce département qui compte aujourd’hui 165 médecins généralistes dont 75 partiront à la retraite d’ici à 2017. « Le but était que chaque Meusien puisse consulter chaque jour un médecin généraliste à moins de 15 km de son domicile ainsi que d’autres professionnels de santé » explique le Dr Olivier Bouchy, cheville ouvrière du projet pour le CDOM. En janvier 2007, un questionnaire est envoyé aux généralistes du département afin d’établir un état des lieux. Le taux de réponse de 66 % est particulièrement satisfaisant. En avril de la même année, le groupe de travail élabore un « schéma départemental d’organisation des soins » autrement dit une cartographie des besoins à trois niveaux : des pôles primaires (maisons ou pôles de santé pluridisciplinaires), des pôles satellites et des cabinets secondaires.
« La bonne idée a été de se rendre sur le terrain et de réunir les élus et les professionnels de santé, explique Anoutchka Chabeau, directrice de la DDASS depuis 2007. Nous expliquons aux élus que tout doit reposer sur les projets des professionnels et qu’il faut éviter de jouer la concurrence entre les projets ». En octobre, un « comité technique de la démographie » est mis sur pied qui, sous l’égide de la DDASS, ce qui permet de coordonner les différentes instances (URCAM, DDASS, Ordre et Conseil général) dans leurs actions. Et dès septembre 2008, un guichet unique situé à la DDASS centralise les dépôts des dossiers de financement des maisons ou pôles de santé. Pour les professionnels de santé libéraux promoteurs, c’est une simplification considérable. Une maison de santé peut être financée par les différents fonds jusqu’à 80 %. Le revers de la médaille est qu’en cas de refus, il ne sera pas possible de frapper à une autre porte puisque tous les financeurs potentiels sont sur la même ligne. Mais pour la puissance publique, cela permet d’éviter des « créations anarchiques et surdimensionnées sur le plan architectural et financier ».
Le Dr Philippe Favier, vice-président de la Fédération des maisons de santé a créé la première maison de santé dans la Meuse, à Vignoles. « Je ne pense pas qu’il y ait un modèle unique, il faut laisser une grande liberté dans l’exercice tant que cela peut permettre le regroupement des médecins et de nouvelles installations ». Exercer dans une maison de santé n’est pas une évidence pour encore de nombreux médecins. Pas toujours facile non plus de convaincre les paramédicaux d’entrer dans les projets. « Dans une maison de santé, les infirmières craignent parfois de devenir des subalternes des médecins », explique le Dr Bouchy. Selon le Dr Sébastien Fayon, généraliste à Dombasle-en-Argonne, « les paramédicaux ne comprennent pas toujours qu’ils risquent de trinquer s’il n’y a plus de généralistes dans un secteur ». Il est aujourd’hui installé avec un confrère qui va bientôt partir à la retraite et cherche donc de toute urgence à mettre sur pied un pôle de santé. Le Dr Jean-Jacques Michel ne voudrait pas non plus partir à la retraite dans quelques années, sans avoir trouvé de successeur. Pour lui, la maison de santé fait partie de la solution. « On ne peut plus travailler seul aujourd’hui, explique-t-il. La médecine générale a changé, nous suivons des pathologies de plus en plus lourdes, notamment des survies de cancer ». Pour le coup les paramédicaux sont partants, mais pas les médecins. « Peut-être que j’idéalise trop la maison médicale » soupire ce généraliste qui cherche toujours des confrères prêts à s’engager avec lui dans l’aventure.
À Bar-le-Duc, la directrice de la DDASS mesure le chemin parcouru. « On a été un peu provocateur avec notre carte de la démographie, analyse Anoutchka Chabeau. Mais au moins, je crois qu’on a fait réagir les professionnels de santé ». Trois nouveaux pôles de santé primaire sont en fonction, deux vont ouvrir prochainement et un est en construction. Et surtout, un « frémissement » se fait sentir sur les installations. Depuis le 1er janvier 2007, le CDOM a enregistré 10 nouvelles installations pour 11 départs de médecins. Le Dr Nicolas Mathis, généraliste à peine trentenaire, s’est installé en juillet 2008 dans la petite commune de Seuil d’Argonne (300 habitants). « Pour nous, c’est presque un sauveur ! s’exclame le Dr Jean-Michel Brichard, hépatologue retraité, secrétaire général du CDOM. S’il n’était pas venu, il n’y aurait plus eu de médecin sur 40 km avec le départ de son prédécesseur ». Ce jeune papa, époux d’une consœur médecin salariée et remplaçante, avoue se sentir parfois un peu seul dans son cabinet qui sent la peinture neuve. Ses locaux, anciennement atelier de confection, terminal téléphonique puis école communale, appartiennent toujours à la mairie, qui les lui loue pour 200 euros par mois. Tout est en place pour accueillir un second généraliste, des infirmières et permettre des vacations de paramédicaux. À terme, la création d’un pôle de santé est envisagée à Rembercourt à 15 km de là, afin de faire travailler tout le monde ensemble. La jeune famille Mathis a acheté une maison dans les environs et ne voit presque que des avantages à l’exercice en zone rurale : une école dans le village, la possibilité de s’adonner à la chasse, un golf 18 trous à Bar-le-Duc. Un seul regret finalement : « il est quasiment impossible de me prendre une journée pour de la FMC par exemple, car je ne peux pas trouver de remplaçant pour des très courte durée ». À plusieurs médecins dans un cabinet, la question ne devrait plus se poser. De même que le fait de devoir être sur la brèche de 7 h 30 le matin à 19 h 30.
À Lisle-en-Rigault, le projet de maison de santé est bien avancé. On voit que les professionnels et les élus sont sur la même longueur d’onde. L’un des généralistes de la future maison avoue qu’il était un peu inquiet pour la démographie médicale de son département quand il a pris connaissance de la carte sanitaire. « Il y a encore moins d’un an, il y avait neuf médecins sur le secteur, deux sont déjà partis à la retraite et deux départs se profilent » explique le Dr Patrick Lecomte. Jacky Lemaire est président de la communauté de communes. « C’est ici que je viens voir mon médecin, j’étais donc au courant des projets des docteurs, explique le maire. Dès que nous avons été élus nous avons pris contact avec l’Ordre des médecins et la DDASS. La directrice nous a expliqué qu’elle était prête à servir de guichet unique à condition que l’on crée une maison de santé qui couvre tout le territoire ». Ils visitent la maison de santé de Vicherey dans les Vosges (reportage dans Le Généraliste du 12 septembre 2008) et en reviennent enthousiastes. « Si on veut fixer les populations, il faut apporter ces services comme une crèche ou un accueil pour personne âgée » juge l’élu local. La maison sera construite de toutes pièces sur un terrain appartenant à la mairie qui louera aux différents professionnels.
Enfin à Revigny, la maison de santé où exerce le Dr Bouchy est une affaire qui roule depuis longtemps : cinq généralistes, quatre kinésithérapeutes, trois cabinets d’infirmières. Chirurgien-dentiste, orthophoniste et pédicure-podologue complètent l’équipe. « La maison médicale de l’Ornain » dispose même d’un petit studio pour loger les stagiaires. Le Dr Olivier Bouchy est particulièrement à l’écoute de la jeune génération. Florence Cuny, jeune interne de médecine générale, a fait son stage ambulatoire chez lui. « Le problème est que le stage ambulatoire arrive en toute fin de cursus, regrette la jeune femme. C’est presque trop tard ». Il reste que, comme ses collègues internes, elle est prête à s’installer en zone rurale. Et pour savoir où s’installer, les jeunes auront une carte en main.