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Exercice

Ces généralistes retraités qui rempilent

Publié le 06/06/2022
Ces généralistes retraités qui rempilent


BURGER/PHANIE

Le phénomène est récent mais petit à petit, il semble prendre de l’ampleur. Un nombre croissant de généralistes retraités exercent à temps partiel comme salariés de centres de santé dans les zones en déficit. Tour d’horizon des différentes initiatives.

Selon les derniers chiffres de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), près de 10 % des médecins libéraux exercent leur activité dans le cadre d’un cumul retraite-libéralUn chiffre qui augmente chaque année. Ainsi, entre 2021 et 2022, il a progressé de 0,3 % pour atteindre 12 467. Mais il existe un autre profil de médecins, ceux qui ont liquidé leur retraite et qui, faute de bras dans leur territoire, ont accepté de reprendre un exercice, en tant que salariés à temps partiel cette fois. Un phénomène qui n’est pas encore chiffré. Quel est le profil de ces généralistes d’un genre nouveau ?

« Je pense que pour la France entière, nous devons grosso modo avoir tous le même. Nous sommes des médecins qui oscillons entre la fin de la soixantaine et aux alentours de 75 ans », explique le Dr Dominique Hérault, qui a mis sur pied une organisation originale en Mayenne. « Quant à nos motivations, elles sont doubles. La première, c’est que nous ne voulions pas abandonner nos patients lorsque nous n’avions pas été remplacés après notre départ de notre cabinet libéral. Et la seconde, c’est qu’il faut admettre que la pratique de la médecine générale nous manque un peu, même si nous ne sommes plus capables d’abattre 70 heures hebdomadaires », poursuit le praticien. Alors quelle meilleure formule que d’exercer un à deux jours par semaine dans un centre de santé ? Que ce soit dans une salle de consultation de médecine générale adossée à un hôpital, comme à Hayange ; au sein même d’un établissement hospitalier pour assurer des consultations externes de médecine générale à destination des patients qui n’ont pas de médecin traitant, comme à Paimpol ; ou encore dans un centre de santé ad hoc créé par une collectivité locale, comme à Brive.

Consultations polyvalentes et confort de travail

Ainsi, à Hayange, dans le département de la Moselle, le Dr Vincent Crocitti, 68 ans, et quatre de ses confrères retraités ont décidé, au début de l’année, de venir en renfort pour répondre aux besoins de la population. Leur particularité ? Eux ne travaillent pas en centre de santé à proprement parler mais exercent, par rotation, un jour par semaine, au service de consultation de médecine polyvalente de l’hôpital de Hayange et sont salariés de l’établissement. Une manière efficace de désengorger les urgences du centre hospitalier et qui offre, en outre, un confort de travail qu’ils ne connaissaient pas vraiment du temps de leur période libérale. Finie la galère pour trouver un spécialiste ou avoir accès à du matériel d’imagerie médicale. Tout est sur site. Le Dr Crocitti estime d’ailleurs que beaucoup de médecins de famille, « jeunes » retraités volontaires dans l’Hexagone, seraient certainement attirés par ce type de dispositif. Et que cela constitue un premier étage de réponse dans la lutte contre les déserts médicaux. Une parole de généraliste qui a été entendue.

Des élus et ARS en demande

« Malgré toutes nos tentatives, des bourses pour les internes, des aides à l’installation, nous ne parvenions pas à trouver des médecins généralistes nouvellement diplômés qui souhaitaient s’installer sur notre territoire. Alors nous avons été obligés d’être créatifs pour éviter de devenir un véritable désert médical », raconte Agnès Massonnier, directrice générale adjointe « solidarités et tranquillité publique » à la mairie de Brive-la-Gaillarde. Les élus et l’agence régionale de santé, en partenariat avec la Mutualité française limousine, se sont ainsi mobilisés. Et décident de prendre leur bâton de pèlerin et de rencontrer les « jeunes » généralistes retraités. Avec une proposition originale. Pourquoi ne pas poser à nouveau leur sacoche, mais dans les locaux d’un centre de santé municipal cette fois. Ils exerceraient en tant que salarié et à temps partiel. Avantages : aucune charge à payer, l’employeur s’occupe de tout, et le généraliste décide de travailler un ou deux jours par semaine.

Séduire aussi des maîtres de stage retraités

« Certains de ces généralistes ont dit banco », se réjouit Agnès Massonnier. Comme le Dr Philippe Desbrest, à Brive, qui affiche trente-cinq ans d’exercice au compteur. Ce médecin qui avait pris sa retraite en décembre dernier a ainsi décidé de rempiler mi-avril, deux jours par semaine, le mardi et le mercredi. Et, le 31 août prochain, il sera rejoint par un confrère également retraité et qui assurera lui aussi deux jours de consultations par semaine. « Les patients du secteur sont pour l’instant très contents et rassurés d’avoir à nouveau accès à un médecin traitant. Mais cette solution n’est pas la panacée et ne peut être que transitoire », reconnaît Agnès Massonnier, qui aimerait bien désormais parvenir à convaincre aussi des maîtres de stage retraités. « En tout et pour tout, ils ne sont que quatre généralistes enseignants en exercice à Brive. C’est dommage parce que les enquêtes montrent que les internes ont plus tendance à s’installer dans un endroit qu’ils connaissent, là où ils ont fait leur stage. Pour l’heure, nous devons nous adapter. C’est la politique des petits pas », ajoute-t-elle.

Une solution transitoire

À Paimpol, dans les Côtes-d’Armor, une organisation similaire a été mise sur pied au mois de février. À cette différence près qu’elle a nécessité l’implication de tous les acteurs de la santé du territoire et qu’elle a pour origine des difficultés rencontrées par… des pharmaciens, submergés par des patients présentant des symptômes que les officinaux ne pouvaient pas traiter ou ayant simplement besoin d’un renouvellement d’ordonnance. Et ceci même alors que, compte tenu des départs en retraite de plusieurs praticiens, près de 10 % des habitants de Paimpol n’ont pas de médecin traitant. Les urgences de l’hôpital sont prises d’assaut. « Dans ce contexte, nous nous devions de réagir », explique Isabelle Batailler, orthophoniste et référente santé de la municipalité. « Nous avons tenu, à l’automne 2021, des réunions avec la mairie, l’hôpital, l’agence régionale de santé et l’agglomération Guingamp-­Paimpol », poursuit Isabelle Batailler. À l’arrivée ? Un accord soutenu par la Caisse primaire d’Assurance maladie. Depuis février, donc, en s’adressant à neuf pharmacies participantes à ce réseau, les Paimpolais peuvent prendre rendez-vous pour des consultations externes au centre hospitalier. Ces dernières sont réalisées par les médecins de l’hôpital et par des généralistes retraités qui ont accepté de prêter main-forte. « Ils avaient déjà donné un coup de main dans les centres de vaccination au plus fort de l’épidémie Covid, et beaucoup ont accepté de renfiler la blouse. » Même si ce dispositif n’a pas vocation à perdurer, le centre de santé qui devrait ouvrir l’année prochaine sur le territoire pourrait tout de même continuer à s’appuyer ponctuellement sur des généralistes retraités et encore plus volontiers s’ils sont aussi maîtres de stage…

François Petty