Accusés de déloyauté et de zizanie, les médecins frondeurs, souvent issus du Parti socialiste, protestent de leur volonté de réveiller la vie parlementaire et d’apporter des idées neuves. Encore peu nombreux, ils pourraient faire des émules.
Premier dans l’ordre de disparition de l’affiche LREM, le Dr Joachim Son Forget, 37 ans, radiologue à Genève, a quitté le groupe dès décembre 2018, après un parcours aussi fulgurant qu’original. Ex-militant PS, il a tenté à deux reprises d’accéder à la direction d’En-Marche, avant d’écoper d’avertissements qui l’ont conduit à « entamer un voyage politique ailleurs », selon son expression, dérivant à droite toute, jusqu’à rejoindre Marion Le Pen (lire p.5).
C’est au contraire par attachement à la gauche, leur ancrage politique, que d’autres médecins s’en sont allés cette année. Médecin urgentiste, le Dr Delphine Bagarry, à la différence de nombre de ses collègues, n’est pas une néophyte en politique : conseillère municipale dès 2001, conseillère départementale en 2014, cette élue PS décroche l’investiture LREM aux législatives et anime le collectif social-démocrate, sur l’aile gauche du macronisme. « Mais j’ai été rapidement déçue par Emmanuel Macron », explique-t-elle, dénonçant « des promesses non tenues de dépassement des clivages droite-gauche, au profit d’alignements libéraux ».
Elle quitte le mouvement et le groupe en mars 2020, lorsqu’Édouard Philippe recourt à l’article 49-3 de la constitution pour faire adopter en force le projet de loi de réforme des retraites. « La crise couvait en fait de longue date, confie-t-elle. Quand le président est intervenu sur l’immigration et l’AME (aide médicale d’État - N.D.L.R.), j’ai eu franchement l’impression d’entendre un discours du Front national. Et tout dans sa gouvernance relève de la verticalité du pouvoir, au mépris de la vie parlementaire. Aucune co-construction des grandes décisions n’était permise, pour employer un des mots creux des macronistes. Les compétences des députés n’étaient pas prises en compte, on naviguait sous le régime de la toute-puissance des clans et des règlements entre amis. »
Le Dr Bagarry a rejoint le groupe EDS (Ecologie, démocratie, solidarité), qui se veut indépendant et dont elle a été secrétaire jusqu’à sa récente dissolution. Elle ne cache pas ses « inquiétudes face à la perte de confiance massive des Français en la démocratie représentative. Devant la montée des populismes en France et dans le monde », elle voit venir « une tempête politique, avec un grand risque de restriction des libertés. »
Au nom de la défense des libertés.
Sa collègue et consoeur Martine Wonner n’est pas moins alarmiste. C’est justement au nom de la défense des libertés que cette psychiatre, ancienne du Samu social de Paris, élue pour la première fois députée dans le Bas-Rhin sous l’étiquette LREM, a pris du champ : elle monte au créneau pour la défense de la liberté de prescription des médecins, avec le collectif #covid19-laissons les médecins prescrire ; elle ferraille pour la liberté de parole des parlementaires : « Je n’ai jamais accepté de débiter les éléments de langage du groupe LREM et j’ai dénoncé l’impossibilité de poser des questions et de défendre mes options humanistes au service des plus vulnérables, alors que tous les choix de la majorité allaient dans le sens d’une politique ultra-libérale, très à droite. »
En avril dernier, lors du vote du déconfinement proposé par Edouard Philippe, dénonçant « l’absence d’une quelconque stratégie thérapeutique, l’amateurisme et une forme de mensonge dans la gestion de crise », elle sera la seule députée LREM à voter contre le gouvernement. Un choix qui entraîne son exclusion du groupe et sa démission du mouvement. « Macron lui-même a fini par lâcher un mouvement qui ne sait plus indiquer où on va », commente-t-elle. Quant à elle, c’est au sein du groupe EDS, puis du groupe Libertés et territoires qu’elle choisit de poursuivre le combat.
Une soupe devenue véreuse.
Au Sénat aussi, il y a du vent dans les voiles macronistes. Vieux de la vieille socialiste (sénateur PS des Bouches-du-Rhône pendant dix-sept ans), le Dr Michel Amiel, avait viré sa cuti politique en devenant un des tout-premiers soutiens d’Emmanuel Macron, dès 2016. C’est donc la casaque du nouveau groupe la République en marche qu’il a endossée dès sa création, en 2017. Mais sa déception n’a pas tardé : « La dérive ultra-libérale s’est vite fait ressentir, déplore-t-il, dans les rangs d’une masse informe, désorganisée, avec des militants qui n’étaient pas prêts à s’engager et où ferraillaient les ambitions personnelles. Emmanuel Macron a jonglé avec l’hétérogénéité de ses soutiens, tentant de donner le change progressiste sur le terrain bioéthique. Mais aujourd’hui la soupe est devenue véreuse. » Le Dr Amiel n’ira pas. En février, après l’épisode du 49-3, il claque la porte et du groupe et du mouvement, ralliant les centristes du groupe Les Indépendants. Et quand il est réélu maire des Pennes-Mirabeau, il choisit de tirer sa révérence de la Haute Assemblée en août dernier. C’est dans sa ville que ce médecin généraliste choisit d’attendre la suite des événements, inquiets des vents populistes et des effets de la pandémie.
Le groupe des Indépendants cependant sort renforcé des dernières sénatoriales. À sa tête, le Dr Claude Malhuret, ex-président de MSF (Médecins sans frontières), ancien secrétaire d’État aux droits de l’homme (gouvernement de Jacques Chirac), ne saurait être catalogué comme un déçu du macronisme, vu qu’il n’a lui-même jamais été macronien : « Ni macronien, ni anti-macronien, ni suiviste, ni opposant, explique-t-il, je constate que notre monde politique a été pulvérisé façon puzzle par la présidentielle de 2017 et que les fragments de ses idées et de ses discours sont aujourd’hui éclipsés par le maître des horloges qu’est devenu le coronavirus. Tout le monde dans la majorité comme dans l’opposition a compris que nous sommes obligés de naviguer à vue, au jour le jour, avec des identités et des clivages politiques de moins en moins tranchés entre petits soldats de la vie parlementaire. » Le macronisme y est tellement malmené que le groupe LREM du Sénat a préféré changer de nom pour s’intituler « Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants» (RDPI). Somme toute, le Rubicon est à sec.