Difficile à comprendre, Bruxelles ne s’impose pas comme une très grande capitale touristique. D’où vient ce décalage avec Rome, Londres, Berlin, Paris et Amsterdam ? De sa taille, d’abord. Pour appartenir au clan des top leaders, il faut être « lourd » et Bruxelles-Capitale (19 communes) ne pèse qu’1,2 million d’habitants. Dont 190 000, pas plus, pour Bruxelles. Et puis la capitale européenne se coltine une étiquette technocratique qui cadre mal, peut-être, avec l’idée de loisirs et de fantaisie.
Et pourtant… Parce qu’elle est justement ville-centre de l’Europe, Bruxelles est une des cités les plus cosmopolites au monde. Quantité de communautés émigrées logent dans ses murs : fonctionnaires européens, lobbyistes du monde entier, mais aussi Espagnols, Portugais, Chinois, Congolais (une ex-colonie)… Un Bruxellois sur trois n’aurait pas la nationalité belge ! Ce brassage inédit s’observe dans les rues. La ville et les communes voisines, telles Ixelles et Saint-Gilles, abritent un nombre incalculable de restaurants exotiques et sont à la pointe des modes de consommation branchés : boutiques végan, vracs alimentaires bios, cafés concepts… Tout cela dans une cité de taille provinciale.
C’est ce que les esprits curieux, à l’écoute d’un monde en mouvement, viendront chercher. Mais à Bruxelles, pour un premier séjour, il faut d’abord sacrifier aux poncifs. Et l’image de la capitale, pour beaucoup, c’est Grand-Place et Manneken-Pis… Pour la première, aucun remords : la place est d’une beauté stupéfiante, surtout lorsqu’à la nuit tombée les façades gothiques, flamandes, baroques, classiques… flamboient sous les éclairages. Un choc visuel dont on ne se lasse pas. Pour le second, à vous de juger. Le petit bonhomme de bronze, 55 cm tout mouillé, ne serait pas autant pris d’assaut par les touristes s’il n’était le symbole de la ville et d’une certaine forme d’irrévérence de ses habitants envers les institutions.
On lui préfère Zinneke-Pis, un bâtard de chien qui lève la patte à l’angle des rues des Chartreux et du Vieux Marché aux Grains. Impertinent, lui aussi, mais beaucoup moins touristique ! Car après avoir sacrifié aux deux sites rituels, être monté au splendide quartier du Palais-Royal et avoir découvert ses musées (Royaux des Beaux-Arts, Magritte…), après avoir jeté un œil à la cathédrale Saint-Michel-et-Sainte-Gudule et à la Bourse, visité l’incontournable Centre belge de la bande-dessinée, fui le magma de boutiques touristiques banales (sauf la divine chocolaterie Gerbaud, rue Ravenstein) et traversé bouche bée les formidables Galeries Royales Saint-Hubert, il est temps de prendre la tangente vers des quartiers plus bruxellois.
Voilà donc le double secteur Dansaert-Sainte-Catherine. À quelques pas de Grand-Place, autour du chien mal élevé, s’entrecroisent des rues d’origine médiévale. Il s’y accroche une armée de bars et de restaurants festifs, repaires de la jeunesse. Le corridor joyeux s’étend jusqu’à l’église Sainte-Catherine et au-delà, en passant devant le cultissime restaurant Nordsee, où l’on mange sur le pouce des fruits de mer en buvant du vin blanc (belge, si, si, cela existe !). Noyau dur du secteur : les halles Saint-Géry. Cet ancien marché couvert en briques et en fer a été transformé en café open space avec chaises longues et expositions. Parfait pour déguster une bière locale en sympathisant avec ses voisins !
Gouaille bruxelloise
De l’autre côté de Grand-Place, un deuxième quartier vaut une balade : Sablon. Coincé entre l’hypercentre touristique et le secteur royal, c’est un vrai village. Le ton est donné lorsque l’on s’engage à pied dans la courte rue piétonne Rollebeek. Provinciale, bordée de magasins, elle grimpe vers ce petit Montmartre chic, puisqu’il est dit qu’à Bruxelles, monter un peu en altitude (pas plus de 100 m !) signifie nécessairement mettre le pied dans un secteur privilégié.
En haut de la rue s’ouvre la place du Grand-Sablon. En triangle, bordée d’immeubles cossus et de boutiques Premium, elle est fermée au sud-est par l’église Notre-Dame-du-Sablon. S’y trouver au moment précis où les cloches se mettent à sonner fait oublier sur-le-champ qu’on est dans la capitale de l’Union européenne…
Depuis la place, un coup d’œil à droite par la rue Ernest Allard permet de discerner au loin une énorme masse bâtie. C’est le Palais de Justice, le plus grand édifice d’Europe après le palais Ceausescu ! Un délire architectural étalé sur près de 3 ha. Il n’y a pas vraiment d’intérêt à s’en approcher, sauf pour se balader dans un dernier quartier de faubourg : les Marolles. Un secteur de la ville d’extraction populaire, cosmopolite, ici où là en voie de gentrification. Mais un quartier où subsistent la gouaille et la moquerie bruxelloises, dans les commerces de la rue Haute, au marché aux Puces du dimanche matin… Bruxelles a beau être la capitale des eurotravailleurs, elle reste aussi la place forte des blagueurs-frondeurs.