Joe Biden a appelé le président russe au téléphone. Ensemble, ils ont adopté un moratoire de cinq ans pour le traité Start, qui arrive ces jours-ci à échéance et définit le nombre autorisé de missiles et d'ogives nucléaires en Russie et aux États-Unis. Cette première action positive, qui tranche avec l'immobilisme de Donald Trump, ne laisse pas pour autant prévoir un apaisement des relations entre Washington et Moscou. Les Occidentaux ont été choqués par l'arrestation du dissident russe, Alexei Navalny, qui, après avoir été empoisonné par les services secrets du Kremlin, été soigné et guéri en Allemagne, est rentré à Moscou où il a été mis en détention, malgré les protestations de milliers de manifestants acquis à sa cause.
Face à tant de courage, Américains et Européens ne pouvaient réagir que par une protestation sincère et unanime. Poutine continue à faire comme s'il n'avait rien fait de mal, comme s'il n'avait pas ordonné la tentative d'assassinat de Navalny par ses sicaires, comme si toute cette histoire résultait d'un « complot » conçu à l'étranger. Sa position publique est intenable pour quiconque réfléchit un peu ; mais il sait faire vibrer chez ses compatriotes la méfiance à l'égard des puissances occidentales. Une majorité de Russes est donc prête à le croire, même si Navalny enregistre une conversation avec un agent secret qui lui avoué littéralement la tentative d'assassinat, et même si le dissident publie les images d'un palais construit à grands frais par Poutine pour son usage personnel. Une guerre de communication, car le maître du Kremlin présente Navalny comme un fou, un hystérique ou un halluciné.
Au peuple russe de décider
Il n'est rien de tout cela et il n'est rentré chez lui que pour continuer sa campagne désespérée contre un tyran qui a fait récrire la Constitution russe pour rester président à vie et pour qu'une poursuite judiciaire soit impossible contre sa personne si lui venait l'envie de prendre sa retraite. Le soutien occidental à la dissidence russe a des limites : l'Allemagne est en affaires avec Moscou au sujet de l'oléduc tout neuf qui va transporter le gaz russe jusqu'au cœur de l'Europe de l'Ouest. L'hypothèse d'une aggravation des sanctions économiques (qui ont coûté aussi aux exportateurs européens) ne semble pas à l'ordre du jour. Poutine défie les États-Unis et l'Europe en Syrie, dans le Haut-Karabakh où il a instauré une paix poutinienne, en Libye, s'entend avec le Turc Erdogan et maintient sa présence militaire en Syrie. Il est affaibli par la crise mondiale et, si sa cote de popularité commence à s'effriter, elle n'a pas sombré.
C'est évidemment au peuple russe de savoir par qui il veut être gouverné. Mais le comportement du président à vie, toujours prompt à glorifier son action en humilant les démocraties dont il dénonce le système, doit être contrecarré. Et il ne peut l'être que par des actions efficaces, mais assez subtiles pour ne pas déclencher une nouvelle crise. Dans cette ambiance très particulière où s'affrontent deux conceptions de l'existence, la France dit son mot et n'hésite jamais à prendre parti pour les Russes et contre leur dictateur qui ne songe, dans son fauteuil du Kremlin, qu'à réinstaurer l'ordre soviétique dont il a une immense nostalgie. Aussi le président Macron et le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, ne mâchent-ils pas leurs mots à l'égard de Poutine. La solution sur le long terme viendra sans doute d'une conjonction de faits : une évolution des consciences russes, un renforcement salutaire des démocraties, l'affaiblissement inévitable d'une dictature qui, au-delà de son insensibilité, tourne la Russie en ridicule.