Sur la nouvelle grippe, elle attend des généralistes qu’ils soient des « éducateurs de santé ». Sur les revalorisations, elle donne son aval au C à 23 euros, mais « pas sans contreparties ». Sur les négociations conventionnelles, elle exige qu’un large éventail de syndicats soit associé aux discussions. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Roselyne Bachelot fait une nouvelle fois entendre sa différence avec la CSMF.?Pourtant, la semaine prochaine, elle se rendra, « dans un esprit de paix et de dialogue » à l’université d’été du syndicat.
Le Généraliste. Sur la grippe H1N1, comment informer la population et les médecins en temps réel sans tomber dans le catastrophisme ?
Roselyne Bachelot. Nous sommes en face d’un virus qui a surgi brusquement. L’alerte a été donnée par l’OMS le 25 avril. Ce que je veux, c’est donner une information en continu à l’ensemble du public concerné par la gestion de cette crise H1N1, au premier rang duquel les médecins et, particulièrement, les médecins généralistes. Parce qu’il faut qu’ils soient informés pour être mobilisés. Je ne fais ni sensationnalisme ni rétention d’information. Il y a encore des zones d’ombre et la recherche continue. Je m’appuie sur les consensus scientifiques les plus larges possibles. J’ai autour de moi des infectiologues, des virologues, des biologistes, qui m’informent. C’est ma façon d’établir ce consensus scientifique. Bien entendu, dans le même temps, l’information est adaptée, les généralistes ont à leur disposition un site Internet, avec un forum... On a vraiment constaté un grand engouement de DGS-Urgent, puisque nous sommes passés de 15 000 à plus de 54 000 abonnés cet été, dont 70% de médecins. Parallèlement, des communications ont été faites par courrier et j’ai veillé à faire des interviews dans les médias. Cela a été relayé sur le terrain, les Codamups ont été réunis par les préfets sur mes instructions, puis des réunions ouvertes aux médecins généralistes et à l’ensemble des professionnels ont été organisées entre le 25 juillet et le 10 août. J’ai ensuite renvoyé à nouveau des instructions pour réorganiser une réunion dans les premiers jours de septembre. J’ai véritablement le sentiment qu’à moins de n’être abonné à aucune revue médicale, de jeter leur courrier et de ne pas avoir Internet, les médecins sont informés.
Pouvez-vous vous prononcer aujourd’hui sur le degré de virulence de H1N1 ? Et êtes-vous inquiète ?
R.B. Un ministre de la Santé doit se préparer aux risques émergents. Donc, je ne suis pas inquiète, mais vigilante et déterminée. Et je demeure très prudente, le consensus scientifique étant loin d’être parfaitement établi. Je note toutefois que rien de formel n’est venu infirmer l’idée que nous étions sur un taux de létalité assez proche de la grippe saisonnière. Ce qui est sûr, c’est que, comme l’a dit il y a quelques jours, Mme Margaret Chan, la directrice générale de l’OMS, le virus circule à une vitesse inédite, et que, au regard du risque de dissémination, il convient de prendre les choses au sérieux. On voit aussi que les publics touchés ne sont pas les mêmes que ceux de la grippe saisonnière. Alors qu’avec celle-ci les taux de décès se retrouvent quand même à 95% sur des populations fragilisées par l’âge ou des pathologies préexistantes, avec le H1N1, 40% des formes sévères concernent des gens en bonne santé.
Qu’attendez-vous des généralistes en cas de pandémie ? Pourquoi avoir choisi un schéma qui privilégie l’accueil au cabinet des malades, mais en revanche la vaccination dans des centres spécifiques ?
R.B. On est passé par plusieurs phases. Les structures de préparation à une pandémie grippale sont établies sur une grippe de type H5N1, c'est-à-dire un virus très virulent et peu contaminant. Et on s’est d’abord demandé si l’on n’était pas en face d’un virus de ce type qui exige des stratégies de confinement et d’isolement vraiment particulières. Rappelez-vous les premiers éléments qui nous sont parvenus du Mexique : des bulletins parlaient de milliers de morts ! Donc, il a fallu isoler ce virus, l’évaluer, le cerner et cela ne pouvait se faire qu’en milieu hospitalier. Par la suite, lorsque nous avons eu un consensus scientifique suffisamment étayé sur une relative moindre sévérité du virus, allié à un grand pouvoir de diffusion, les autorités scientifiques ont dit qu’il convenait de passer le relais à la médecine ambulatoire. C’est la bonne formule, parce que, comme il y a beaucoup de cas peu sévères, c’est vraiment la médecine générale qui doit être à la baguette. La décision a été prise le 2 juillet et rendue effective le 23, le temps nécessaire pour se préparer et se concerter avec les professionnels de santé. Parallèlement, nous avons donc d’abord évidemment élargi le nombre d’hôpitaux de référence, on est passé de 100 à 400.
Pour la vaccination et pour la prise en charge, quels rôles assignez-vous aux médecins traitants ?
R.B. Dans cette première phase, j’attends des professionnels de santé qu’ils prennent en charge, et que ce soit eux qui diffusent les consignes des mesures barrières, qui rappellent que le Tamiflu® est un produit qui nécessite une prescription médicale, eux qui indiquent que la prescription d’anti-viraux n’est pas systématique. Ils sont dans leur rôle de soignants, mais aussi d’éducateurs de santé. Par ailleurs, il faut bien comprendre que nous avons bâti une logistique vaccinale particulière, à partir des indications de la communauté scientifique. Il a été établi que la solution adéquate, pour enrayer cette pandémie grippale, était une vaccination importante. Il a fallu d’abord acheter ces vaccins, avec une politique d’achat la plus diversifiée possible pour ne pas risquer d’être en difficulté. Ensuite on a organisé une logistique vaccinale particulière, qui s’est appuyée sur le fait que les laboratoires nous ont dit qu’ils nous livreraient les vaccins en boîtes multidoses, dans des délais différents selon les laboratoires et enfin, qu’il faudrait vraisemblablement deux doses, la deuxième devant être identique à la première. A partir de là, pour effectuer une traçabilité de la vaccination, cette vaccination ne pouvait être faite que de manière collective.
Ensuite il y aura la stratégie vaccinale, le troisième étage. Le Comité technique des vaccinations a rendu son avis le 3 septembre et le Haut conseil de santé publique s’est prononcé le 9. C’est à partir de ces avis que nous allons réunir la cellule interministérielle de crise, avec Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur et proposer une stratégie vaccinale au Premier ministre et au président de la République. Elle sera ensuite affinée en fonction du périmètre des AMM et des dates de livraison des vaccins. Les médecins généralistes seront donc en première ligne, mais dans le cadre d’une stratégie collective avec, je le rappelle, des rémunérations adéquates. Nous sommes en train de mobiliser sur le mode du volontariat, avec un statut de réquisition pour assurer une protection juridique des praticiens . Nous ferons appel, très certainement, à des médecins retraités et à des étudiants en médecine, évidemment placés sous la responsabilité d’un médecin en exercice.
Vous vous rendez à l’université d’été de la Csmf le 20 septembre, un syndicat qui n’a pas ménagé ses critiques sur votre réforme. Quel message comptez-vous délivrer aux médecins à cette occasion ?
R.B. Qu’avant une loi aussi importante que la loi HPST, certains se mettent en mouvement et, parfois, avec excès, cela fait partie du jeu… J’estime que cette page-là est tournée. La loi a été votée, c’est la loi du peuple, elle s’impose à tous. Je remarque d’ailleurs que certains acteurs, particulièrement virulents à l’époque, se disent aujourd’hui : « Mais, finalement, il y a des outils que l’on va utiliser là-dedans ». J’aborde donc cette deuxième phase de réalisation de la loi, qui est plus importante encore, sans doute la seule qui vaille, avec l’envie de réconcilier et d’expliquer. Je vais à Cannes dans un esprit de paix et de dialogue. Beaucoup de travail reste à faire. La loi HPST compte pas moins de 151 textes d’application. Je m’attelle principalement, pour l’instant, aux textes relatifs aux Agences régionales de santé, puisque nous avons 11 décrets en conseil d’Etat et deux ordonnances relatives aux ARS. Je souhaite mener, comme je m’y étais engagée, le travail réglementaire avec chacun des acteurs concernés par l’une ou l’autre partie du texte, ainsi que faire vivre les principes de démocratie sanitaire inscrits dans la loi. Je pense notamment aux élections aux URPS. Je rappellerai aussi, bien entendu, ce qui a été acté sur la vie conventionnelle, au moment de la loi HPST, c’est-à-dire que la représentativité s’appuiera sur de nouvelles élections et que la nouvelle convention doit résulter de ces élections.
Mais le temps pourrait manquer pour organiser de nouvelles élections. Les négociations devant aboutir pour le 10 janvier, elles semblent bien parties pour exclure une partie des syndicats…
R.B. L’esprit de la loi est de vivifier la vie conventionnelle par une nouvelle représentativité. Ce serait un détournement de l’esprit de la loi, qui souhaite asseoir une convention sur une représentation renouvelée et vérifiée. Les négociations conventionnelles, qui doivent avoir légalement lieu puisque la convention a été dénoncée, doivent tenir compte précisément de ce point. Et, d’ailleurs, si on se livrait à ce petit jeu de re-signer une convention qui détournerait l’esprit de cette loi qui veut asseoir la légitimité démocratique des représentants syndicaux, la convention ainsi votée serait immédiatement dénoncée après les élections. Si le consensus est trop fragile et risque de remettre en cause les principes auxquels nous tenons, les solutions existent pour prolonger la convention actuelle. Donc, des élections professionnelles doivent avoir lieu. Il sera toujours possible de proroger l’existence de l’actuelle convention.
Vous êtes en pleine période de nomination des directeurs d’Agences régionales de santé (ARS). Comment ce processus se déroule-t-il ?
R.B. Depuis début septembre, nous sommes dans une procédure très innovante, la sélection de candidats. Il s’agit de la plus grande réforme administrative entreprise dans notre pays, depuis les lois de décentralisation. Dans le courant du mois de septembre, les 26 directeurs seront choisis et nommés en Conseil des ministres. Je tiens beaucoup à ce que les nominations ne soient pas échelonnées. La notion d’équipe est essentielle. Il faudra qu’ils échangent. Ils auront, bien sûr, ensuite une feuille de route : le pilotage des ARS aura lieu via le comité national de pilotage, et les équipes ministérielles qui s’occupent de ces dossiers et le Secrétaire général des ministères sociaux qui est en même temps chef de projet ARS. Tout cela exige l’implication de la ministre que je suis. Même pendant H1N1, les travaux continuent ! J’étais en début de semaine dernière au CHU de Rouen, puis à la Caisse régionale d’assurance-maladie pour discuter avec les agents, échanger avec eux, poser des questions très précises sur le statut des personnels, les profils de poste, etc. Je suis à la manœuvre et je continue ma tournée ARS.
Dans le cadre des négociations conventionnelles, comment envisagez-vous la revalorisation de la médecine générale ? Par une hausse du C ? Ou en diversifiant leur mode de rémunération comme semble le souhaiter la Cnamts?
R.B. Je veux d’abord rappeler que l’augmentation du C est provisionnée dans l’Ondam. Donc, je ne promets pas une augmentation qui n’est pas provisionnée On ne peut pas m’accuser de pratiquer un double langage... Ceci posé, j’ai dit aux partenaires conventionnels et aux représentants des médecins que, dans la situation tendue que connaît notre pays, il serait incompréhensible qu’on annonce une augmentation du C qui ne serait pas assortie d’un certain nombre de contreparties, alors que nos concitoyens souffrent de vrais problèmes d’accès aux soins soit géographiques, soit financiers. L’élargissement des nouveaux modes de rémunération n’obéit pas à une stratégie d’augmentation des médecins, mais à une stratégie de qualité, de sécurité des soins et de réalisation d’un certain nombre d’objectifs. Nous menons des expérimentations là-dessus. Mais je souhaite que l’on ne mélange pas tout. Que sous couvert d’un objectif d’augmentation du revenu des médecins, qui n’est pas illégitime, l’on détourne des outils qui servent à d’autres choses.
A terme, ne pensez-vous pas que les rémunérations forfaitaires seront appelés à prendre de plus en plus de place au détriment des revalorisations du C ?
R.B. Absolument pas ! Les deux choses sont différentes et complémentaires. L’établissement du C est pratiquement le fondement de la politique conventionnelle : le tarif de la consultation pour un certain nombre de prestations. Les négociations conventionnelles doivent donc aboutir à un accord sur le C. Mais la balle est dans le camp des partenaires conventionnels. Je pense néanmoins que les rémunérations forfaitaires ont un rôle important à jouer.
Certains perçoivent la taxe prévue par les « contrats santé-solidarité », comme un début de remise en cause de la liberté d’installation…
R.B. Les débats autour de la loi HPST ont été un choc pour beaucoup de médecins qui pensaient que la libre installation était largement partagée dans l’opinion et par les parlementaires… Ils ont été surpris de voir que cela n’a pas été le cas. Et certains représentants des médecins ont été impressionnés en voyant, en définitive, leur ministre, seule à la barre, les défendre, et défendre des principes, dont celui de la liberté d’installation. Je rappelle que dans le cadre des « contrats santé solidarité » il y aura toutes sortes de moyens négociés pour que les généralistes puissent apporter une contribution de solidarité dans les zones déficitaires, dans leurs modes d’exercices, dans la participation à la PDS, dans les établissements pour personnes âgées ou handicapées. Si l’on s’installe dans un endroit surdoté en médecins, il faudra se dire : « Est-ce qu’une partie de mon activité peut permettre de résoudre les problèmes des Français ? » Bien entendu, si on ne souhaite pas apporter cette contribution de solidarité, on pourra s’en exonérer par le versement d’une contribution financière. Mais ce n’est pas une taxe. Les médecins doivent comprendre que, s’ils n’acceptent pas cela, nos concitoyens nous demanderont d’en tirer certaines conséquences et qu’ils ouvrent la porte demain aux SROSS opposables. C’est notre responsabilité commune de répondre aux besoins de nos concitoyens.
Certains dénoncent aussi les dispositions qui feront obligation aux médecins de déclarer leurs congés à leur conseil de l’Ordre. Sur le terrain, la profession n’est-elle pas assez responsable pour s’organiser et ne pas laisser leurs patients désarmés lorsqu’ils partent en vacances ?
R.B. Il suffit d’analyser les feuilles de la PDS pour s’apercevoir que ce n’est pas partout le cas. Il y a beaucoup d’endroits où ça se passe bien, mais il y aussi le contraire. Des outils sont nécessaires. A défaut, je ne vois pas comment on va pouvoir bien gérer la PDS dans un contexte où la situation ne va pas s’améliorer tout de suite. La démographie médicale chute jusqu’en 2019. Elle ne se redressera qu’ensuite grâce aux mesures que nous sommes en train de prendre, notamment sur le numerus clausus et sur le renforcement de la filière de médecine générale. Mais il faut neuf ans pour former un médecin et attendre dix ans de plus avant qu’il ne s’installe.
En matière de refonte de la FMC, la loi reste encore assez générale quant aux obligations des médecins. Selon quelles modalités allez-vous la réorganiser ? Quand sortiront les décrets d’application ?
R.B. Nous allons installer un collège national dans chaque spécialité, réunis au sein de la fédération des spécialités médicales. Le « développement professionnel continu » est une notion qui, véritablement change de paradigme, puisqu’on insiste beaucoup plus sur l’analyse des pratiques que sur l’entassement de crédits de formation ou de points.
Nous travaillons sur la première version des décrets et je voudrais qu’il soit publié avant la fin de l’année.
Après la réforme HPST, la révision de la loi de bioéthique sera le deuxième grand chantier de votre ministère ?
R.B. Oui et nous sommes dans un calendrier contraint sur la loi de bioéthique. Nous serons obligés de tenir la discussion parlementaire à la fin du premier trimestre 2010 du fait de la fin prochaine du moratoire sur la recherche sur l’embryon qui se termine le 11 février 2011. Si rien n’est fait, cela veut dire que la recherche sur l’embryon sera totalement interdite. Cela étant posé, j’ai la conviction qu’il ne s’agira pas de remodeler tous les textes. Les lois de bioéthique portent des principes qui restent plus que jamais d’actualité et ont fait la preuve de leur robustesse et de leur pertinence. Reste un certain nombre de choses qui étaient à voir. Allait-on rouvrir la question du dossier de la gestation pour autrui ? Conformément à l’avis de nos concitoyens qui ont été interrogés sur ce sujet, je ne suis pas favorable à sa légalisation. Nous étudions, en revanche, l’augmentation au-delà de 42 ans de l’âge du remboursement de l’assistance médicale à la procréation, la stabilisation du droit sur les embryons surnuméraires et le maintien de l’interdiction de la recherche avec un régime dérogatoire, car je tiens à réaffirmer l’intangibilité du principe de non instrumentalisation de la personne humaine, sur lequel repose l’interdiction.