Grâce à une meilleure prise en charge, le pronostic des accidents vasculaires cérébraux s'est amélioré. Les Unités Neuro-Vasculaires ont quasiment atteint leur objectif de maillage du territoire. À l’instar de la prise en charge de l'infarctus du myocarde il y a 15 ans, des progrès restent à accomplir public à la phase aiguë notamment, d’information du public à l’appel au 15, ainsi que celle des médecins pour que toute AVC puisse bénéficier d’une thrombolyse dans les unités spécialisées dans les 4 premières heures. La période de réadaptation reste la grande oubliée.
La prise en charge des accidents vasculaires cérébraux a connu un véritable bouleversement au cours des 20 dernières années, avec la mise en place des unités neuro-vasculaires (UNV) et le développement des techniques de revascularisation. Ces évolutions ont-elles eu les résultats escomptés ? En partie, car le bénéfice en termes de survie est très net, comme en témoigne le registre dijonnais des AVC, mis en place en 1985. Y sont enregistrés tous les cas (hors AIT) observés dans la ville de Dijon, qu'ils aient donné lieu ou non à une hospitalisation. "La mortalité à trois mois est passée d'environ 25 % dans les années 1980 à 15 % actuellement, précise le Pr Yannick Béjot (CHU de Dijon), responsable du registre. Cette amélioration concerne avant tout les infarctus cérébraux, pour lesquels la mortalité, qu'elle soit précoce (voir l'encadré 1) ou à un an, a diminué de plus de 20 % depuis 1985, parallèlement à la mise en place des unités neurovasculaires, puis à l'arrivée de la thrombolyse intraveineuse, en 2003. La thrombectomie (voir l'encadré 2) va, on l'espère, encore améliorer le pronostic". Point important, ces années de vie gagnées ne le sont pas au prix d'une augmentation du nombre de grands handicapés, car on observe une réduction du handicap à la sortie de la phase aiguë.
Pour les hémorragies cérébrales le pronostic s'est amélioré, mais la mortalité reste importante. Elle est passée de 40 % à un mois à 30 % actuellement. Quand l'hémorragie est grave, elle est souvent fatale à la phase aiguë (15 % de mortalité dans les deux jours).
"Les progrès ne concernent pas tant la mortalité à cette phase précoce, car il n'y a pas de traitement curatif spécifique, que le pronostic à long terme, observe le Pr Béjot. Cela montre l'impact important de la prise en charge dans les unités neurovasculaires, avec des mesures comme la baisse de la pression artérielle pour limiter l'expansion de l'hématome et la prévention des complications (infectieuses ou thrombo-emboliques)".Autre point positif, l'âge médian au premier AVC a reculé d'environ 8 ans chez la femme et 5 ans chez l'homme entre 1985 et le début des années 2000. Cela peut être attribué au vieillissement de la population, mais sans doute aussi aux progrès de la prévention, notamment par la prise en charge de l'HTA, facteur de risque majeur, du diabète, du tabagisme et des dyslipidémies.
Du mieux, mais peut mieux faire !
Les indicateurs publiés chaque année, depuis 2011, par la HAS soulignent néanmoins le chemin qui reste à parcourir pour une prise en charge optimale. Pour l'année 2014, l'analyse a porté sur 27 000 dossiers, ce qui représente près d'un tiers des patients hospitalisés pour AVC (93 000 en 2013). Le traitement antiagrégant ou anticoagulant est prescrit quasi systématiquement, conformément aux recommandations. En revanche, un quart seulement des patients sont admis dans des délais compatibles avec la thrombolyse et parmi eux un sur cinq seulement sont thrombolysés, pour des raisons d'organisation ou de contre-indications, soit un taux de thrombolyse de 6,31 % (5,6 % en 2011). Le délai médian entre l'admission aux urgences et la réalisation d'un examen d'imagerie est de 1 h 44. Une IRM, examen à privilégier, est réalisée en première intention dans 18 % des cas seulement (13 % en 2013). Une évaluation par un médecin neurovasculaire, qu'elle soit directe ou par télémédecine est pratiquée dans moins de trois quarts des cas (73 %). Le taux est de 89 % dans les établissements comportant une unité neurovasculaire contre 35 % dans les autres établissements. Les établissements disposant d'UNV ont des taux supérieurs de plus de 10 points à la moyenne pour la plupart des indicateurs. Ces unités conditionnent donc en grande partie la qualité de la prise en charge. Selon une méta analyse de la Cochrane, elles permettent de réduire de 20 % le taux de handicap et de mortalité.
Inégalités territoriales d’accès à la thrombolyse
[[asset:image:11401 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["GARO\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Aujourd'hui, le lieu de résidence détermine en grande partie les chances d'accès à un traitement efficace. À Dijon, 10 à 15 % de l'ensemble des patients atteints d'AVC ischémique bénéficient d'une thrombolyse. Mais en Bourgogne ils sont 5 %, seulement.
"Le taux ne cesse d'augmenter, mais il y a encore de grand progrès à faire, surtout dans les zones rurales , constate le Pr Béjot. Le moyen le plus efficace serait d'avoir des UNV réparties de manière homogène. Dans plusieurs villes de Bourgogne des établissements seraient prêts à ouvrir une unité, mais ne le peuvent faute de neurologues. Certaines régions sont vraiment en souffrance". L'intérêt de ces unités ne se limite pas à la thrombolyse. "C'est l'ensemble de la prise en charge qui compte et, pour qu'elle soit efficace, tous les patients doivent arriver le plus vite possible à l'UNV, qu'ils aient ou non une thrombolyse", souligne le Dr France Woimant (hôpital Lariboisière), qui a participé à l'élaboration du plan AVC 2010-2014.La télémédecine à la rescousse
Il existe actuellement 135 UNV en France, nombre proche de l'objectif de 140 prévu dans le plan.
"Au début du plan, 15 % des patients étaient pris en charge en UNV. Maintenant le taux est proche de 50 % , précise le Dr Woimant. Nous sommes au milieu du gué. Il reste encore des zones où ce n'est pas parfait. Mais là où il manque des UNV c'est parce qu'il y a des problèmes de démographie des neurologues. Dans ces zones il faut avant tout augmenter les capacités d'accueil des UNV existantes, à défaut de pouvoir en créer d'autres". Le constat est partagé par le Pr Norbert Nighoghossian (hôpital Pierre Wertheimer, CHU de Lyon) : "Nous n'avons pas assez de neurologues vasculaires pour assurer la pérennité des UNV à une échéance de dix ans. Pour compenser cela il est possible, selon les textes de faire appel à des spécialistes ayant passé un DIU de neurologie vasculaire. À Roanne, l'UNV fonctionne avec trois neurologues et deux urgentistes qui ont passé le DIU. Il faut envisager cette mixité pour assurer la survie des UNV".La télémédecine est un moyen sûr et efficace d'élargir l'accès à la thrombolyse. En Bourgogne, région pilote pour le développement de la télémédecine, les centres hospitaliers régionaux sont reliés au CHU de Dijon ou au centre hospitalier de Chalon. "Depuis que ce système a été mis en place, il y a quatre ans, on a vu augmenter encore le pourcentage de patients bénéficiant de la thrombolyse", remarque le Pr Béjot. Cependant, si les expériences se multiplient, la télémédecine reste encore très peu développée au niveau national. Elle n'a été utilisée que pour 2 % des patients atteints d'AVC en 2014, selon les indicateurs de la HAS.
Éduquer les populations à l’appel au 15
[[asset:image:11406 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["BURGER\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Les délais d'intervention trop tardifs peuvent être liés à des causes difficilement modifiables, telles qu'un AVC nocturne, l'isolement, l'anosognosie. Cependant le manque d'information de la population reste prépondérant. "L'appel au 15 s'est nettement amélioré, mais de nombreuses personnes ne connaissent toujours pas l'AVC", regrette le Pr Béjot. Pour le Dr Woimant, il faut continuer les campagnes d'information et les répéter. "Après les précédentes campagnes, on a montré que les personnes appelaient plus vite le 15, mais que cela retombait après trois semaines à un mois. Il n'y a pas assez de messages de prévention à destination du grand public. Le rôle du généraliste est à cet égard essentiel. Lorsqu'un patient a une HTA, un diabète ou d'autres facteurs de risque, il doit lui apprendre quels sont les symptômes de l'AVC et lui expliquer l'importance d'appeler immédiatement le 15 s'ils surviennent".
Explorer les AIT en 24 heures
Si l'amélioration de la prise en charge des AVC constitués est une priorité, la prévention, primaire et secondaire, reste le moyen le plus efficace d'alléger le fardeau des AVC. "Il existe des stratégies de prévention pertinentes, insuffisamment appliquées en France", estime le Pr Nighoghossian. Parmi celles-ci, la prise en charge des accidents ischémiques transitoires (AIT) représente un enjeu majeur. "À peine un tiers des patients ayant un AIT dans le Rhône ont un bilan dans les 24 heures, déplore le Pr Nighoghossian. 10 % auront un AVC dans le mois qui suit". Environ un quart des AVC sont précédés d'un AIT. Le Pr Pierre Amarenco (hôpital Bichat) défend l'idée de "cliniques de l'AIT", ambulatoires, comme il en existe en Angleterre et dans d'autres pays, pour suppléer les UNV. "En France, il n'en existe que deux, l'une à Paris, l'autre à Toulouse", regrette-t-il. La prise en charge dans ce type de service diminuerait de plus de 50 % le risque d'AVC à trois mois et à un an, par rapport aux cohortes historiques, selon l'essai SOS-TIA (Amarenco P. et col. N.Engl.J.Med 2016). Selon les calculs du Pr Amarenco, cela permettrait d'éviter près de 32 000 décès ou dépendance par an en France. "Les AIT doivent être traités très vite", confirme le Dr Woimant. Cependant créer des cliniques de l'AIT exigerait un grand nombre de neurologues. "Il faut augmenter la capacité des UNV pour qu'elles puissent prendre en charge AIT et AVC, estime-t-elle. Le problème est là actuellement".
Des soins de suite… sans suites
La réadaptation et le suivi après la phase aiguë conditionnent également le pronostic fonctionnel. Les ARS ont reçu un financement cette année pour développer les consultations pluriprofessionnelles post AVC. Ces consultations qui font le lien entre la ville et l'hôpital permettent de faire un point après le retour à domicile, avec un neurologue, un psychologue, un neuropsychologue, une orthophoniste, un kinésithérapeute…
"Le plan AVC a aussi permis la reconnaissance d'équipes mobiles de soins de suite, qui se rendent au domicile des patients qui sont en perte d'autonomie et ne peuvent aller à la consultation pluriprofessionnelle, ajoute le Dr Woimant. Il est important que le généraliste sache qu'il peut avoir recours à ces dispositifs".Accorder des moyens supplémentaires pour lutter contre ce problème de santé publique est une urgence, compte tenu du vieillissement de la population. "On attend une augmentation de 20 à 30 % du nombre d'AVC dans les années à venir, signale le Pr Béjot. Il faudra développer les structures d'accueil pour les personnes gardant un déficit, d'autant que certains risques de développer aussi un handicap cognitif. L'AVC est la deuxième cause de démence après la maladie d'Alzheimer. Pour espérer diminuer le poids des séquelles il est essentiel d'améliorer la prise en charge en phase aiguë et en phase de rééducation, probablement avec de nouvelles technologies, comme la réalité virtuelle". Un long chemin reste à parcourir dans ce domaine. Actuellement seuls 34 % des patients victimes d'AVC sont accueillis en soins de suite et réadaptation et, parmi eux, près d'un tiers ne sont pas orientés vers des structures spécialisées.