PRATIQUE
Eruption de mars à juillet
Cette patiente de 54 ans présente depuis 4 ans une éruption du visage survenant de mars à juillet. Dans ses antécédents, on note une réaction importante à un parfum vers l'âge de 15 ans, mais ni eczéma atopique, ni asthme, ni rhinite allergique. Elle ne prend qu'un traitement hormonal substitutif. Il existe toutefois un terrain atopique familial : asthme chez son père, rhinite allergique chez ses deux fils et eczéma chez son père, sa fille et deux petits-enfants. Elle signale dans l'adolescence des éruptions du visage, du décolleté et des oreilles survenant uniquement à la montagne après 2 à 3 jours d'exposition solaire et disparaissant en huit jours. Ces épisodes ont disparu depuis l'âge de 21 ans.
Depuis quatre ans, elle présente systématiquement une éruption du visage avec dème et prurit chaque fois qu'elle va dans le midi de mars à juillet. Elle n'a pris aucun médicament photosensibilisant pendant les périodes d'exposition. Les tests photobiologiques pratiqués sur place n'ont pas montré d'abaissement de la dose érythémateuse minimale. L'éruption n'a aucune tendance spontanée à s'améliorer en poursuivant les expositions solaires. Elle a appliqué à chaque fois un écran solaire et n'a eu paradoxalement aucune réaction lors de son séjour ensoleillé à la montagne, au cours duquel elle avait appliqué un écran aussi.
A la campagne
L'éruption est apparue quinze jours après ce séjour à la montagne, alors qu'elle était à la campagne. Elle avait appliqué ce jour-là non pas un écran mais une crème « préparatrice au soleil » sur tout le corps et s'est exposée seulement le visage, dans un jardin où il y avait de nombreux pollens. Elle a eu pendant plusieurs jours une sensation de cuisson du visage, suivie secondairement d'un prurit et d'un granité léger sur l'abdomen et les faces internes des bras.
Lorsque l'on voit la patiente, elle n'a aucune lésion. Un bilan sanguin est demandé pour éliminer un lupus systémique de principe, mais le principal diagnostic évoqué est soit un eczéma de contact, soit un photoeczéma aux écrans solaires. Le complément et les facteurs antinucléaires sont négatifs.
Pollens de graminées
Des tests épicutanés ainsi que des photopatchs-tests sont réalisés avec une batterie de photoallergènes, la batterie standard européenne, une batterie de conservateurs et d'excipients des produits cosmétiques, une batterie de pneumallergènes ainsi que les différents écrans et crèmes utilisés sur le visage. Ces allergènes sont donc tous posés en double exemplaire sur le dos. Un exemplaire est retiré à 24 heures et irradié en UV A et UV B, l'autre exemplaire n'est pas irradié mais laissé en place 48 heures. La première lecture à 48 heures ainsi que la lecture retardée sont négatives du côté irradié comme du côté non irradié. Des prick-tests aux pneumallergènes les plus courants sont alors réalisés et montrent une positivité à ++ pour les pollens de graminées. L'interrogatoire repris précise alors que chaque éruption a correspondu à une période d'exposition aux pollens soit dans le midi, soit à la campagne en région parisienne.
Un traitement anti-histaminique est donc proposé en préventif pendant la saison des pollens.
Eliminer lupus, lucite, photoeczéma
Une éruption survenant en même temps qu'une exposition solaire sur une zone découverte doit effectivement faire envisager en premier une photodermatose :
- par ordre de gravité, il est essentiel d'éliminer en premier un lupus érythémateux, cependant beaucoup moins fréquent que les lucites, qu'il s'agisse d'une lucite polymorphe ou d'une lucite estivale bénigne. Dans le cadre du lupus, le respect du dos des mains et du décolleté, ainsi que l'absence de lésions au visage lors des expositions au ski et l'absence de pérennisation des lésions pendant l'été et l'automne sont de bons arguments pour plaider contre le lupus. De plus, les photo-tests auraient dû mettre en évidence une réaction persistante quelques semaines après l'irradiation UV ;
- par ordre de fréquence, la lucite estivale bénigne doit être évoquée en premier, mais rapidement écartée du fait des localisations des lésions chez cette patiente. En effet, la lucite estivale bénigne s'accompagne d'un respect quasi obligatoire du visage et d'une atteinte prédominante du dos des mains et du décolleté. Elle survient en règle générale dans les 24 à 48 heures suivant la première exposition importante de la saison et s'améliore au bout d'une quinzaine de jours, même si le sujet poursuit l'exposition solaire. Les tests photobiologiques sont généralement négatifs ;
- moins fréquente, la lucite polymorphe survient pour une exposition assez minime, quasiment aux premiers rayons de soleil du printemps, et atteint préférentiellement le visage, avec le respect classique des zones moins exposées à la lumière (la région sous-narinaire, les zones rétro-auriculaires et surtout le triangle sous-mentonnier). L'éruption, contrairement à la lucite estivale bénigne, a tendance à persister et à s'aggraver avec la poursuite des expositions évoluant en général du printemps à l'automne. Le phototest itératif reproduit les lésions dans 70 % des cas. Chez notre patiente, l'absence de poussée à la montagne, l'atteinte des membres et de l'abdomen, ainsi que la négativité des phototests plaident contre ce diagnostic ;
- la dernière hypothèse à envisager est un photoeczéma à l'un de ses topiques appliqués sur le visage, mais les photopatchs-tests ont éliminé ce diagnostic ;
- il restait donc à envisager une réaction à des allergènes aéroportés, et il est probable que, en voyant la patiente en poussée, l'aspect et la localisation des lésions aurait aidé au diagnostic.
Photodermatose printanière juvénile
Par ailleurs, en ce qui concerne l'éruption de l'adolescence, il s'agit vraisemblablement d'une photodermatose printanière juvénile, affection rare du sujet jeune apparaissant sur le visage et surtout avec prédilection sur les oreilles lors d'une exposition à la fois au froid et au soleil. Elle récidive en règle générale tous les ans pendant le jeune âge puis disparaît au bout de quelques années.
Au total
Toute éruption des zones photoexposées n'est pas systématiquement une photodermatose et peut en particulier être un eczéma aéroporté.
Le diagnostic est orienté par la localisation des lésions, leur aspect, leurs circonstances de survenue ainsi que leur mode évolutif : l'interrogatoire est donc particulièrement important pour poser l'indication de tests adaptés pour confirmer le diagnostic et déboucher sur un traitement adapté.
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