Décision Santé. Qu’est-ce que la « e » réputation ?
Gil Adamy. Le tweet de Valérie Trierweiler qui a bouleversé la campagne des législatives en juin 2012 résume à lui seul ce qu’est la e-réputation. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Youtube, Dailymotion, Linkedin, Viadeo…) sont des phénomènes de société qui préfigurent une nouvelle manière de communiquer et de vivre sa relation à l’autre. Il s’agit de la « communication conversationnelle » où l’émetteur est à la fois récepteur, acteur, journaliste citoyen, censeur, délateur, régulateur, modérateur, force de proposition… La transversalité de la communication conversationnelle remet en question la relation du consommateur à la marque, du citoyen au politique, de l’individu à l’employeur. La e-réputation peut être une dangereuse réalité pour les imprudents, comme une opportunité fantastique pour ceux qui savent anticiper et l’utiliser comme élément stratégique de leur gouvernance. Si les problèmes liés à la réputation dans le monde réel sont bien connus dans leurs causes comme dans leurs effets, la caisse de résonnance que constituent l’Internet et les réseaux sociaux augmente la dimension de ce phénomène fondateur de notre vie en société.
D. S. En médecine, la réputation du praticien a toujours été centrale
G. A. Oui, mais de plus en plus, Google joue un rôle dans le choix du médecin ou d’un hôpital. Si un professionnel ou une entreprise de santé est décriée sur Internet, la réputation du médecin est immédiatement entachée.
La e-réputation est un phénomène ancien par nature, novateur par sa technicité. Pour l’entreprise, la réputation est un actif intangible d’une entreprise. Immatérielle et vulnérable, sans valeur comptable, elle est pourtant l’une des composantes essentielles de l’entreprise dans sa globalité. La réputation se conçoit dans une approche transversale, car elle affecte toutes les structures internes à une organisation. Mais également dans une approche environnementale, car elle intègre aussi des facteurs externes, essentiels au bon fonctionnement de l’entreprise. Le passage de la réputation au numérique a fait apparaître le concept de communication conversationnelle engendrant la e-réputation. L’affaire Mediator® et Servier est un exemple. L’image de ce chef d‘entreprise réputé a été durablement salie. Autre exemple, on choisit un hôpital sur la réputation d’un médecin que l’on est allé vérifier sur Internet et les réseaux sociaux.
D. S. Qu’est ce qui change donc dans l’attitude que le professionnel doit avoir ?
G. A. Il convient alors de gérer son identité numérique sur le social-media avec le même soin que dans la communication traditionnelle, à ceci près que le social-media n’est pas un media de plus ou de complément. C’est une planète à part, un moyen de communication fondé sur le « conversationnel » qui change radicalement le paradigme de la communication traditionnelle. Les actions de communication ne peuvent plus dès lors être conçues comme une action mettant en relation un émetteur et des récepteurs. Cette identité numérique, vivante et interactive doit être pensée et mise en œuvre en termes de marketing, de communication et de relation client sur ce nouveau paradigme. C’est souvent parce que l’entreprise pense et traite le social-media comme une extension des medias classiques que la e-réputation constitue un risque. Sur les réseaux sociaux, ces différentes notions de la réputation se télescopent, s’augmentent les uns des autres dans une accélération des jugements et des associations d’idées. Il serait inexact de penser qu’une bonne e-réputation appelle un maximum de personnes qui parlent de vous de façon élogieuse et recommandent votre marque. C’est plutôt une alchimie qui se nourrit de l’actualité, de l’émotion de l’opinion et qui peut aller dans le pire des cas jusqu’à la diffamation par manque de recul. Si un accident industriel vous touche et si la qualité du service rendu est mal perçue ou prise en défaut, une crise d’e-réputation peut ruiner une image de marque en moins de temps qu’il n’en faut pour comprendre le pourquoi des choses.
D. S. En quoi cela peut-il intéresser les entreprises de santé et les hôpitaux ?
G. A. L’hôpital, comme les entreprises du secteur de la santé pensent souvent comme toutes les autres, c’est à dire site Web efficace, campagne d’e-marketing, de référencement… Bref, elles ont une pensée d’émetteur/récepteur classique dans un nouveau monde qui se nourrit de conversations en temps réel et sur la terre entière. Elles n’intègrent pas facilement la e-réputation comme un outil conversationnel entre l’entreprise et ses publics. Elles ne pensent pas encore « organisation transversale de la parole ». Et pourtant, agissant dans un secteur sensible où l’émotionnel peut tout submerger en cas d’accident médical ou industriel, l’hôpital et les entreprises du secteur de la santé sont plus exposés que toutes les autres. Elles ont tout à gagner en pensant et en concevant un cadre conversationnel. D’abord, il permet à ses publics de s’exprimer librement. En dialoguant avec eux, les entreprises de la santé peuvent détecter leurs besoins, leurs attentes, leurs motivations, leurs freins, leurs émotions. Grâce aux outils de veille et d’analyse de l’opinion sur les réseaux sociaux, elles peuvent détecter les signaux faibles pour désamorcer une crise potentielle ou pour en faire un avantage concurrentiel. Le conversationnel n’est pas une excroissance des médias classiques. Il faut le concevoir et le gérer comme une technique de communication en rupture culturelle avec l’existant.
D. S. Quels sont les risques et les opportunités ?
G. A. On parle de plus en plus de e-réputation. Mais lorsqu’on l’évoque, c’est plutôt sous l’aspect risque, parce que nous avons tous un exemple de crise dans l’actualité pour illustrer celui-ci. Constater les dégâts causés sur une e-réputation est une vision défensive liée à une information ou à des expériences passées. C’est un jugement a posteriori de faits qui auraient pu être évités si le risque avait été évalué en amont. Selon le vieil adage « il vaut mieux prévenir que guérir », non seulement la crise aurait pu être évitée, mais en anticipant, le social-media peut être une opportunité.
D. S. Il existe plusieurs types de risques qui peuvent atteindre à la e-réputation d’une entreprise.
G. A. Il y a d’abord un risque stratégique pouvant affecter le business de l’entreprise : variations ou chute des ventes ou dégradation du système commercial, chute du cours en bourse, remise en cause de partenariat, coût d’une communication de crise… diffusion d’avis négatifs de consommateurs, dénigrement, rumeur et diffusion de fausses informations. La e-reputation de Quick en chute libre après la mort suspecte d’un adolescent de 14 ans à Avignon en est un bon exemple. Cet accident industriel a généré des débordements d’ordre raciste liés à la commercialisation d’hamburgers hallal. Conséquence directe : moins 35% de chiffre d’affaires sur l’ensemble de ses restaurants en France. Cela peut affecter l’offre de l’entreprise, la remettre en cause. Elle peut faire l’objet de violentes critiques, d’un dénigrement, d’un boycott de ses produits, d’une contestation de sa légitimité, sans oublier un détournement possible de son identité. Au plan des rapports humains, une e-réputation calamiteuse peut remettre en cause des décisions du management, créer une défiance envers celui-ci et affaiblir sa crédibilté, affaiblir le lien social, affaiblir la communication de l’entreprise vis-à-vis de ses partenaires, de son écosystème, …
D. S. Vous parlez aussi d ‘opportunité ?
G. A. Mais la e-réputation peut constituer une opportunité créatrice de valeur si elle est pensée dans une véritable stratégie, avec un business model dédié, défini et mis en œuvre par des professionnels.
Pour conclure, nous sommes face à une nouvelle relation de la marque aux consommateurs. En étant à la fois émetteur et récepteur, le consommateur devient un consom-acteur. La nature de son pouvoir change radicalement sa relation à la marque qui devient un partenaire avec qui il veut dialoguer d’égal à égal. Et s’il n’est pas satisfait, il zappe. Les marques, les entreprises, les institutions sont désormais en CDD.
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