Livres
Les années se suivent et ne se ressemblent pas tout à fait. Après avoir mis l'an dernier sous les projecteurs l'écrivain français d'origine chinoise très méconnu Gao Xingjiang, c'est un auteur au contraire renommé et accessible qui a été récompensé, puisque quinze livres, sur les vingt-cinq qu'il a écrits, ont été traduits en français (Gallimard, Albin Michel Christian Bourgois, UGE et Plon pour les derniers). Mais un auteur qui, comme son prédécesseur et encore plus, est à cheval sur plusieurs cultures, ce qui constitue le fond de son inspiration : aliénation, déracinement, isolement et désespoir, reviennent comme des leitmotiv.
Vidiahdhar Surajprasad Naipaul est né sur l'île de la Trinité, dans une famille d'immigrés indiens de haute caste mais pauvres ; son grand-père était coupeur de canne, son père journaliste et écrivain. A 18 ans, grâce à une bourse, il se rend en Angleterre où il obtient une licence ès lettres, après des études à Oxford. Il réside depuis lors dans ce pays, où il se consacre à son métier d'écrivain lorsqu'il ne voyage pas.
« Ecrivain cosmopolite » et même « tourmondiste littéraire » : ainsi l'a qualifié l'Académie en soulignant que « sous la plume de Naipaul, récits de fiction, autobiographies et documentaires confluent au point de rendre parfois impossible l'identification de la composante dominante ». Le lauréat cependant refuse l'étiquette d'écrivain voyageur car, dit-il, « je voyage sur un thème. Je travaille non pour écrire sur moi-même, mais pour regarder le monde. Je voyage pour faire une enquête ».
Mais surtout, V.S. Naipaul n'a cessé de chercher sa propre identité, de se situer par rapport à ses origines et ses aspirations. Il en témoigne depuis « Une maison pour Monsieur Biswas », dont l'Académie suédoise a rappelé l'importance en le résumant ainsi : « la pauvreté culturelle et spirituelle de Trinidad l'afflige, l'Inde lui est devenue étrangère et il lui est impossible d'adhérer aux valeurs traditionnelles de l'ancienne puissance coloniale anglaise ».
Une analyse de l'intégrisme musulman
Sa quête lui fait élargir son champ littéraire bien au-delà de l'île antillaise où se déroulent ses premiers romans. Il traite avec un pessimisme grandissant les effets pervers du colonialisme et du nouveau nationalisme dans le Tiers monde et il dépeint les empires en déclin, « l'histoire des perdants », dans la perspective moraliste de leur impact sur les hommes.
Il a ainsi donné une analyse critique de l'intégrisme musulman dans les pays non arabes tels que sont l'Indonésie, l'Iran, la Malaisie et le Pakistan dans « Jusqu'au bout de la foi. Excursions islamiques chez les peuples convertis », son dernier livre paru en 1998 ; il y démontre les liens entre la conversion à l'islam et la perte d'identité, estimant que « l'islam ne laisse aucune place à la conscience individuelle. Aucune à l'adaptation. La loi du prophète ne saurait être modifiée et chaque musulman a pour tâche essentielle d'assurer son triomphe ». Cet ouvrage fait suite à « Crépuscule sur l'Islam : voyage au pays des croyants » publié en 1981, qui rendait compte de son premier périple de cinq mois dans cette Asie musulmane.
Un « éloge inattendu »
La première réaction de V.S. Naipaul, en se déclarant « absolument enchanté » de l'attribution du prix qu'il a accueilli comme « un éloge inattendu », a été de le considérer comme « un grand hommage à l'Angleterre, mon pays, et à l'Inde, pays de mes ancêtres ».
Une distinction suprême - qui a tout de même surpris car si son nom était cité depuis des années, « ses amis pensaient qu'à cause de remarques acerbes, notamment des attaques contre certains écrivains britanniques, on ne lui donnerait jamais le prix », a déclaré son éditeur - qui s'ajoute à d'autres nombreux prix dont le prestigieux booker Prize (1971). V.S. Naipaul est docteur honoris causa à la Columbia University de New York et aux universités britanniques de Cambridge, de Londres et d'Oxford.
Livres - Encadré Nobel
Les uvres de V.S. Naipaul traduites en français
- « Une maison pour Monsieur Biswas » (Gallimard, 1964)
- « Un drapeau sur l'île » (Gallimard, 1971)
- « Crépuscule sur l'Islam : voyage au pays des croyants » (Albin Michel, 1981)
- « Guerilleros » (France-Loisirs, 1981)
- « A la courbe du fleuve » (Albin Michel, 1982)
- « Dis-moi qui tuer » (Albin Michel, 1983)
- « Me Stone » (Albin Michel, 1985)
- « L'Inde brisée » (Christian Bourgois, 1989)
- « L'énigme de l'arrivée » (Christian Bourgois, 1991)
- « L'Inde, un million de révoltes » (Plon, 1992)
- « Le masseur mystique » (Union générale d'Edition-UGE, 1994)
- « Miguel street » (UGE, 1994)
- « Un chemin dans le monde » (Plon, 1995)
- « Dans un état libre » (10-18, 1998)
- « Jusqu'au bout de la foi » (Plon, 1998)
Par ailleurs, une adaptation de « Mystic masseur » par Ismaïl Merchant, le producteur des films de James Ivory, devrait sortir sur les écrans français en décembre ou janvier. Le film a été tourné à Trinité-et-Tobago avec les acteurs indiens Aasif Mandvi, Om Puri et Ayesha Dharker (la reine Jamillia de « la Guerre des étoiles ») et le britannique James Fox. L'action se déroule dans la communauté idnienne dans les années 1950 et c'est l'histoire, entre humour et drame, d'un masseur qui se découvre un don pour soigner aussi les âmes et les esprits.
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