« LA FOLIE AVIAIRE. » La manchette de « Libération » s’orne de la photo pleine page de deux techniciens en combinaisons et masques blancs, gantés de rouge jusqu’aux coudes, pulvérisateur jaune fluo en bandoulière, qui surgissent d’une nuit noire. «La psychose s’emballe», titre le journal, qui propose un «Tour de France d’une grande peur collective». A l’en croire, les services d’urgence sont «assiégés».
Tel n’est pas le cas du Samu d’Annecy. Pourtant, la Haute-Savoie est limitrophe de l’Ain, le département qui détient le triste privilège d’être le premier touché dans l’Union européenne par un cas avéré de contamination d’élevage par le virus H5N1. «Nous monitorons depuis deux mois les appels liés à l’épidémie, précise le Dr Jean-Pierre Perfus ; jusqu’à l’affaire de Versailleux (commune où l’élevage de dindes a été contaminé, ndlr), nous relevions une moyenne de deux appels par quinzaine, principalement en provenance de voyageurs de retour d’Asie. Nous avons atteint un rythme de deux appels quotidiens durant la semaine qui a suivi les premiers cas d’oiseaux dans l’Ain. Mais l’épisode semble se calmer: depuis trois jours, nous n’enregistrons plus aucune demande.»
Aucun des appels reçus n’a nécessité l’envoi d’un véhicule du Samu, toutes les demandes étant traitées par la seule expertise téléphonique.
Au Samu de Créteil (Val-de-Marne), en région parisienne, le Dr Eric Lecarpentier est tout aussi catégorique : «Nous enregistrons des communications sporadiques pour lesquelles nous observons une procédure d’interrogatoire parfaitement codifiée: fièvre, toux, syndrome grippal, nous avons toujours pu conclure de manière rassurante. Sauf dans un cas, où l’envoi d’une équipe a été décidée, en raison d’un problème technique qui empêchait notre interlocuteur de nous recontacter, nous n’avions d’autre ressource pour explorer sa situation que de venir sur place, où tout s’est révélé rassurant.»
Au Samu de Paris, RAS.
«Peut-être y a-t-il quelques personnes inquiètes qui appellent, note pour sa part le Pr Pierre Carli, directeur du Samu de Paris, mais nous considérons à ce stade qu’il s’agit d’un problème vétérinaire et non de médecine humaine, tant qu’il n’y a pas un seul cas avéré chez l’homme. Pour rassurer les anxieux, nous disposons des éléments de réponse suffisamment clairs pour couper aux fantasmes. S’agissant des Parisiens, donc, RAS.»
Quant au département de l’Ain, pourtant objectivement dans l’oeil du cyclone, comme disent les journalistes, il est à l’unisson : «Depuis qu’un élevage a été contaminé, nous n’avons noté que quelques appels, observe la responsable administrative du Samu 01, Elizabeth Vellon. Ils sont passés par des personnes inquiètes de tousser et pour lesquelles nous faisons de la régulation téléphonique classique en observant les consignes particulières édictées par l’Institut de veille sanitaire. Aucun envoi d’équipe n’a été jugé nécessaire.»
Si donc les Samu ne semblent nullement «assiégés», peut-être le 0825.302.302, numéro d’Info Grippe aviaire, serait-il pris d’assaut ? La plate-forme mise en place par le ministère de la Santé pour répondre à toutes les questions que se posent les Français autour du risque de pandémie a recueilli jusqu’à 7 000 à 8 000 appels quotidiens lors du week-end qui a suivi la confirmation de la première contamination de volailles d’élevage. «Mais depuis la fin de la semaine dernière, nous sommes retombés à une cadence quotidienne de 1200appels/jour, précise au “Quotidien” Anne-Céline Leh, conseillère de Xavier Bertrand pour ces activités de communication de crise. A tel point que les effectifs de téléopérateurs ont été ramenés de 50 à 18, toujours avec un vétérinaire et un médecin présents pour apporter des éléments de réponse qualifiée.»
Si, globalement, le nombre des appels plonge, on note que la proportion de ceux qui concernent les animaux domestiques s’accroît, jusqu’à représenter près de la moitié du trafic (47 %).
Une tendance observée par les associations, comme 30 millions d’amis ou la SPA, sans qu’elles aient dû cependant revoir à la hausse les effectifs de leurs standards.
La Société protectrice des animaux a lancé un appel aux autorités pour que «la psychose de la grippe aviaire n’engendre pas une éradication des chats errants», après la découverte d’un chat mort porteur du virus H5N1 sur l’île allemande de Rügen.
«Ces méthodes seraient disproportionnées et inutiles face au risque que peuvent représenter ces animaux», soulignent les défenseurs des animaux domestiques.
En Allemagne, des centaines de propriétaires de chat n’hésitent pas à abandonner leur compagnon dans des dispensaires, s’émeut la SPA d’outre-Rhin, qui s’indigne que «des maîtres angoissés à l’idée de pouvoir être contaminés par leur animal de compagnie songeraient à les faire piquer». Vétérinaire, Serge Belais, le président de la SPA, estime d’ailleurs aujourd’hui que «les chats risquent plus d’être euthanasiés en application de mesures extrêmes de municipalités que de mourir de la grippe aviaire.»
Les experts de l’UE, dans ce contexte, veulent calmer les inquiétudes ; ils rappellent que «l’état actuel des connaissances suggère que la maladie chez des carnivores comme les chats est un cul-de-sac de l’infection, qui ne conduit pas à une augmentation du risque posé par le virus à la santé animale ou humaine».
Quoi qu’il en soit des spéculations sur les peurs collectives, réelles ou supposées, un indicateur, hélas très concret, rappelle que les Français, malgré les exhortations à la confiance lancées par les plus hautes autorités de l’Etat, sont nombreux à bouder la viande de volaille. La filière avicole enregistre une chute de la consommation de l’ordre de 20 à 30 % suivant les produits considérés. La filière fait aussi face, depuis la semaine dernière, à l’embargo total ou partiel décrété sur ses exportations par 43 pays (dont les Etats-Unis, la Russie et le Japon). Comme quoi l’hypocondrie peut aussi être l’apanage des Etats.
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