LA SANTE EN LIBRAIRIE
C OMMENT peut-on expliquer que Serge Voronoff soit un inconnu pour le Collège de France qui a abrité ses travaux pendant des années ? Que les scientifiques, biologistes, médecins ou chirurgiens, spécialistes des xénogreffes auxquels Jean Réal s'est adressé, ne sachent rien de Serge Voronoff, qui a tout de même réalisé quelque 2 000 greffes de testicules de singe sur des hommes entre 1920 et 1939 ? Comment se fait-il que les uvres de Serge Voronoff, pourtant nombreuses et largement répandues en son temps, soient si difficiles à trouver ? Le mystère semble avoir plutôt aiguillonné l'ardeur de Jean Réal à relever des traces précises du médecin, si brouillées qu'elles aient été au départ.
Il aurait pu se contenter, recherches faites, de développer les grandes étapes d'une vie que l'on peut ainsi résumer : « ...Je peux bien sûr écrire qu'un jeune Russe de 19 ans arrive en France pour faire ses études de médecine, devient le chirurgien du Khédive d'Egypte, travaille à New York avec Alexis Carrel, greffe à Nice une thyroïde de chimpanzé sur un petit crétin qui s'en porte mieux, fonde à Paris un hôpital financé par le tsar où il répare des soldats blessés avec les os d'un chimpanzé fourni par le président Poincaré. Enfin il crée au Collège de France un laboratoire de chirurgie expérimentale et met au point la greffe de testicules de singe sur l'homme. Il est mort en 1951 et enterré dans son jardin... »
Mais à fouiller un peu plus un parcours aussi brillant, on découvre que rien n'est vraiment simple dans l'histoire de ce jeune Russe de famille juive aisée, longtemps prénommé Samuel avant d'opter pour Serge ; une histoire qui s'imbrique étroitement avec celle de son époque, d'une part, avec celle de la médecine de son époque, d'autre part. C'est après un bref emprisonnement dans la Russie répressive d'Alexandre III que le jeune Samuel arrive en France pour y étudier la médecine ; il retrouvera l'histoire de son pays d'origine pendant la guerre de 1914, lorsqu'il se verra confier à Paris un hôpital financé par le tsar Nicolas II. Entre temps, il aura passé dix ans en Egypte, où tout est à organiser d'un point de vue sanitaire, les Anglais ne s'étant guère intéressés au problème.
Tout aussi remarquable est sa place dans la médecine de l'époque : il fréquente les plus grands médecins, chirurgiens et biologistes de l'époque, on a déjà cité Carrel, avec qui il travaillera beaucoup, mais c'est Péan qui l'envoie en Egypte, il est président d'honneur de plusieurs congrès. Il se lance dans la chirurgie, la discipline de loin la plus prestigieuse à l'époque, celle qui permet de côtoyer les grands de ce monde. Enfin, il partage les préoccupations des médecins de son époque qui vient de découvrir les groupes sanguins avec Landsteiner, espère dans l'avenir des transplantations avec les travaux sur l'animal d'Alexis Carrel, ne jure que par l'opothérapie, les préparations glandulaires les plus variées étant censées guérir tout le monde de tout.
Greffes en tous genres
Il est difficile de ne pas se prendre de sympathie pour cet homme que l'auteur nous montre sincèrement et profondément préoccupé de la santé de ses semblables, extrêmement rigoureux dans sa façon de travailler, désintéressé et généreux. Il est difficile de ne pas croire au succès des greffes osseuses dont ont bénéficié les blessés de la Grande Guerre ; des greffes de thyroïde, qui rendent les « crétins » hypothyroïdiens capables d'autonomie ; des greffes de testicules de chimpanzé ou autres singes qui rendent la jeunesse - plus encore que la virilité - à des vieillards inconnus et à des célébrités et qui se répandent à travers le monde en quelques années. Et s'il n'est pas difficile de comprendre pourquoi un tel succès n'a pas fait que des heureux dans le monde médical, ni pourquoi le populaire a tant ri de « celui qui greffait des couilles de singes », il reste en fin d'ouvrage quelques questions : y a-t-il eu ou non supercherie, ne serait-ce que ponctuelle ? D'où vient l'oubli de la médecine officielle, qui, pourtant, depuis cette époque, n'a ménagé son intérêt ni pour les greffes ni pour les méthodes de rajeunissement ? Pourquoi Voronoff a-t-il en revanche laissé un souvenir aussi vif et sympathique aux habitants de son village du Midi ? Jean Réal n'a pas l'air fâché qu'un brin de mystère subsiste.
« Voronoff », Jean Réal, Stock, 279 pages, 115 F (17,53 euros).
Malade mental et prix Nobel
E TONNANTE histoire que celle de John Forbes Nash, qui révolutionne la théorie des jeux alors qu'il est étudiant à Princeton, résout des problèmes mathématiques considérés comme impossibles avant l'âge de 30 ans, reçoit le prix Nobel d'économie en 1994. Ses dons extraordinaires pour les disciplines mathématiques ne font pourtant qu'une partie de l'histoire, interrompue en son milieu par trente années de maladie mentale, pendant lesquelles les hallucinations, les relations avec les extraterrestres, les préoccupations messianiques l'éloigneront des mathématiques. Sylvia Nasar, journaliste au « New York Times », « a interrogé des centaines de témoins, amis et collègues de John Nash, consulté des milliers de documents » pour évoquer cette vie qui devrait passionner tout autant les amateurs de mathématiques que les psychiatres et ceux qui doutent que l'on puisse sortir de troubles mentaux tels que ceux dont a souffert John Nash.
« Un cerveau d'exception », Sylvia Nasar, Calmann-Lévy, 534 pages, 149 F (22,71 euros).
La médecine sur les sentiers de la guerre
«L E sentier de la guerre » est vieux comme l'humanité, semblent dire Jean Guilaine, archéologue, et Jean Zannit, médecin et paléopathologiste, qui ont traqué la violence guerrière dans les civilisations les plus anciennes et mettent en relief le développement en Occident d'une « idéologie du guerrier » qui n'a sans doute pas complètement disparu.
De façon concomitante, la médecine s'est donc logiquement attachée à réparer les dégâts résultant de ces violences guerrières, ce dont témoigne volontiers l'édition. Citons un livre relatant l'histoire de l'Ecole de chirurgie du port de Rochefort à la fin de l'Ancien Régime, ou la réédition du livre d'un médecin militaire corse consacré à la médecine et aux conditions de vie du soldat pendant l'expédition d'Egypte de Bonaparte.
S'il est une guerre bien actuelle, c'est celle que nos sociétés essaient de mener contre les maladies animales transmissibles. Il y a pourtant bien longtemps que les humains se sont attachés à surveiller et contrôler ces maladies qui peuvent avoir pour nom fièvre aphteuse ou fièvre charbonneuse, tuberculose ou rage. Un microbiologiste, Jean Blancou, va jusqu'en Chine et jusqu'à l'Antiquité pour découvrir quels ont pu être les moyens de lutte utilisés par les uns ou les autres.
Signalons enfin ces « Chroniques indiennes d'une épidémie », dans lesquelles un professeur de médecine tropicale d'Hawaï relate l'explosion de la première épidémie de leishmaniose viscérale, ou kala-azar, en 1824 en Inde. L'histoire d'hier rejoint celle d'aujourd'hui, quand l'auteur souligne le fossé qui existe entre la recherche, très avancée sur la maladie, et la réalité, c'est-à-dire la mort d'un enfant faute de médicaments.
« Le Sentier de la guerre », Jean Guilaine et Jean Zammit, Seuil, 371 pages, 148 F (22,56 euros).
« L'Ecole de chirurgie du port de Rochefort », Dr Michel Sardet, Service historique de la marine (château de Vincennes, BP n° 2, 00300 Armées), 211 pages.
« Médecins et soldats pendant l'expédition d'Egypte », Jean-Marie Milleliri, Bernard Giovanangeli éditeur (116, rue de Charenton, 75012), 239 pages, 125 F (19,06 euros).
« Histoire de la surveillance et du contrôle des maladies animales transmissibles », Jean Blancou, OIE (12, rue de Prony, 75017), 366 pages, 40 euros.
« Kala-azar », Robert S. Desowitz, Science infuse (58, rue Claude-Bernard, 75005), 128 pages, 80 F (12,20 euros).
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