LA MESURE a fait déjà beaucoup de bruit depuis que le gouvernement l'a maladroitement introduite en catimini dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss) pour 2006, présenté officiellement demain en conseil des ministres.
En dépit du tollé soulevé par la création d'un forfait de 18 euros sur tous les actes techniques d'un montant supérieur à 91 euros (réalisés en ville ou à l'hôpital), le gouvernement ne semble pas enclin à y renoncer.
Au contraire, Dominique de Villepin a justifié, devant les Français, cette « mesure rationnelle » la semaine dernière sur France 2. Le Premier ministre a fait valoir que le forfait épargnait au total « six millions de personnes » : les patients en ALD, les bénéficiaires de la CMU, les femmes enceintes, les nouveau-nés hospitalisés, les invalides et titulaires d'une rente pour accident du travail ou maladie professionnelle.
Certes, le procédé du ticket modérateur a déjà inspiré bon nombre de plans de redressement de la Sécu. En outre, la règle de la prise en charge à 100 % en cas d'opérations lourdes (cotées en « K50 » ou plus jusqu'au lancement de la Ccam, la nouvelle nomenclature technique), qui remonte à 1955, avait déjà été remise en cause par l'un des prédécesseurs de Xavier Bertrand au ministère de la Santé.
En effet, Jean-François Mattei avait rétabli au 1er janvier 2004 un ticket modérateur de 30 % sur tous les soins précédant ou faisant suite à des actes cotés en K50 ou plus. Selon un prérapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie (Hcaam) (1), cette mesure a permis de réaliser seulement un tiers des 600 millions d'euros d'économies attendues en année pleine sur les soins de ville, touchant en particulier les transports sanitaires, les actes infirmiers et de kinésithérapie.
Le rapport du Haut Conseil.
Le même prérapport du Hcaam prépare d'ailleurs le terrain avant la création du forfait de 18 euros. Prenant acte que « le périmètre de prise en charge intégrale va croître » à l'avenir, compte tenu de la place grandissante des ALD et des personnes âgées dans la population, il en déduit qu'il faut se garder de « couvrir à l'excès les dépenses » dans ce domaine et éviter de créer une « distorsion » de traitement entre différentes catégories d'assurés (« le Quotidien » du 23 septembre). « Trop sanctuariser les prises en charge intégrales, d'un côté, (et) trop solliciter l'assuré non exonéré, d'autre part » pourrait in fine« diminuer l'attachement des Français à une Sécurité sociale obligatoire et solidaire », souligne le Haut Conseil.
Dans le Plfss 2006, le gouvernement n'a pas pris le parti de la « sanctuarisation », loin s'en faut. Mais est-il allé trop loin ?
Pour le Parti socialiste, l'UDF et les Verts, la ligne jaune de la solidarité nationale a été franchie, compte tenu de l'effort financier supplémentaire demandé aux assurés sociaux. Le forfait de 18 euros a de même suscité la levée d'un front social contre lui, composé des syndicats de salariés (Cfdt, CFE-CGC, Cftc, CGT, FO, FSU, Unsa), d'associations de patients et d'usagers (Fnath, Ciss, UFC-Que choisir) et de la Fédération hospitalière de France. Hormis la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf, qui approuve la mesure dès lors que le forfait est remboursable par les complémentaires santé), plusieurs syndicats de médecins s'y sont opposés, comme MG-France et la Coordination médicale hospitalière (CMH).
L'Union des chirurgiens de France (Ucdf) note que « ces 18 euros de remboursement en moins par intervention vont encore aggraver le différentiel entre le tarif réel des actes et le tarif de leur remboursement ». Le forfait « concerne quasiment toutes les interventions chirurgicales » et met la chirurgie « au même rang que les médicaments de confort », déplore l'Ucdf.
Transferts de charges.
Réunis hier soir à l'occasion d'un bureau de l'Union nationale des organismes complémentaires d'assurance-maladie (Unocam), les représentants des mutuelles, des assureurs et institutions de prévoyance devaient affiner leurs estimations quant à l'impact du Plfss 2006 sur leurs dépenses respectives. Pour le ministre Xavier Bertrand, l'instauration du forfait coûtera « au maximum 100 millions d'euros » aux complémentaires santé. Du côté des assureurs, Gilles Johanet, responsable des activités santé des AGF, parle plutôt d'un surcoût « de 150 à 200 millions d'euros » par an, qui se traduira par « une hausse de 1,5 point » sur les primes des contrats collectifs. Ce transfert de charges s'ajoute à d'autres, provoqués notamment par la hausse progressive du forfait hospitalier et par le déremboursement partiel de certains médicaments.
Cette fois, cependant, le président de la Mutualité, française, Jean-Pierre Davant constate un « désengagement profond de l'assurance-maladie », dès lors que le nouveau ticket modérateur porte sur des actes utiles et courants, telles l'appendicectomie, l'ablation des amygdales ou les coloscopies, par exemple. Il en appelle donc aux parlementaires qui « seraient bien inspirés de ne pas en prendre la responsabilité ». Gilles Johanet évoque aussi « un tournant », car « voir la Sécurité sociale se désengager des actes lourds présente une haute signification sur le plan politique », sans gage de régulation de dépenses puisque l'assuré « ne maîtrise pas » ce type de soins. De surcroît, l'ex-directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie s'étonne de « l'obligation faite aux complémentaires de rembourser », laquelle, ironise-t-il, « ne s'inscrit pas spontanément dans l'esprit de partenariat (entre assurance-maladie obligatoire et complémentaires) prévu par la loi Douste-Blazy ».
Selon lui, le forfait de 18 euros serait ainsi en contradiction avec le principe de prise en charge des actes lourds par la Sécu, tout en donnant un coup de canif à la nouvelle gouvernance instaurée par la réforme de l'assurance-maladie de 2004. Reste à savoir quel sort les parlementaires réserveront à ce drôle de cadeau pour fêter le soixantième anniversaire de la Sécurité sociale.
(1) Ce rapport consacré au « périmètre de la prise en charge intégrale par les régimes de base » doit être finalisé ce mois-ci.
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