JEAN-PIERRE BROSSMANN, actuel directeur du théâtre du Châtelet, est un des pionniers de l'enregistrement des spectacles lyriques pour une diffusion à un public plus large que celui qui va au théâtre. Commencée à l'opéra de Lyon, cette politique qui nous a valu de conserver des spectacles tels « Pelléas » par Pierre Strosser, « les Brigands » par Louis Erlo et « Orphée aux Enfers » par Laurent Pelly, se poursuit au Châtelet en collaboration avec Rainer Moritz Associates.
Les six premiers titres parus sont consacrés à six récitalistes, les Américains Grace Bumbry, Dawn Upshaw, Barbara Bonney et Thomas Hampson et les Britanniques Felicity Lott et Ian Bostridge. Ces récitals sont publiés dans leurs enregistrements publics intégraux auxquels s'ajoutent des interviews des interprètes dont la répartition tout au long du récital rompt généralement la continuité du programme.
Thomas Hampson, baryton et interprète actuel incontesté des Lieder de Gustav Mahler, signe le plus intéressant DVD de cette jeune série. Suprêmement accompagné au piano par Wolfram Rieger, il chante le cycle « Des Knaben Wunderhorn » (Le Cor merveilleux de l'enfant), plus quelques « Lieder de jeunesse ». Ses qualités vocales alliées à une intelligence perpétuelle du texte éclatent tout au long de cette soirée de 2002 dans un programme qu'il domine totalement. Mais le choix d'insérer en extraits l'interview très savante des deux interprètes nuit à la continuité du récital, même si le découpage s'applique à coller au programme.
Grace Bumbry, que Paris a entendu dans de nombreux rôles lyriques à l'Opéra dans les années 1970, donnait en 2002, accompagnée par Helmut Deutsch, un récital en hommage à Lotte Lehmann, dont elle fut l'élève à Santa Barbara (USA) dans les années 1950. N'ayant pas entendu ce mezzo-soprano à l'époque dans le répertoire germanique, on ne peut que constater aujourd'hui que c'est un univers qui semble lui échapper. Dans une forme vocale étonnante ce soir-là, elle ne possède cependant pas les qualités de prononciation, d'intelligence du texte qui rendent justice à Schubert, Brahms, Schumann et Richard Strauss. Meilleure dans les pièces en français de Liszt, Bizet et Berlioz du programme, elle ne signe pas un récital qui, même s'il fut électrisant à vivre pour ses fans, mérite d'être archivé pour son programme. Le commentaire omniprésent n'apporte pas non plus de quoi soutenir l'intérêt.
Deux autres DVD de la série sont consacrés à deux chanteurs britanniques pour lesquels nous ne partageons généralement pas l'enthousiasme qu'ils suscitent en France. Felicity Lott retrouve au Châtelet en 2002 le public qui l'y a adulé dans « la Belle Hélène ». Son récital « Love songs round the clock » est un choix très personnel d'une vingtaine de mélodies de tous styles, allant de Debussy à Hugo Wolf comme de Schumann à Gilbert et Sullivan. Toutes sont chantées dans un style assez uniforme, fondé sur le charme de l'interprète plus que sur les qualités intrinsèques de chacune d'entre elles. Il serait injuste de ne pas reconnaître son excellente prononciation dans toutes les langues abordées et que la partie interview, au charme vraiment réel, est le meilleur de ce très éclectique programme.
Son jeune compatriote Ian Bostridge, est le meilleur interprète que nous ayons entendu de Quint du « Turn of the Screw » (« le Tour d'écrou ») de Britten dans l'excellente réalisation de Deborah Warner à l'English National Opera en 1997 que l'on a pu voir ensuite à Bobigny. Il consacre au Lied allemand une grande partie de sa carrière actuelle, comme l'atteste la soirée de 2000 accompagnée par Roger Vignoles. Même si l'on ne peut s'empêcher de trouver ses interprétations un peu trop affectées, l'intelligence du texte chez Schubert et Wolf, dans ce généreux programme, sont incontestables, comme on peut le vérifier dans le commentaire-interview, le plus intéressant de cette série. Manque simplement le volume et l'étoffe de la voix, très grise et monotone, et surtout souffle et projection qui sont, même pour un récital enregistré, insuffisantes.
Les deux dernières parutions sont les récitals des sopranos américains Barbara Bonney (2000) et Dane Upshaw (2001).
Barbara Bonney chante le cycle « Dichterliebe » (Les amours d'un poète) de Schumann, programme généralement chanté par des barytons, qui ne lui convient ni vocalement ni sur le plan du caractère et pour lequel l'accompagnement de Malcolm Martineau ne lui est d'aucun soutien. La seconde partie est bien meilleure, constituée de mélodies scandinaves qu'elle avoue avoir, projet ambitieux, choisies pour constituer un « cycle » qui répondrait à celui de Schumann. Au DVD, l'effet ne se perçoit pas, tant la continuité de cette partie est souvent interrompue par les fameuses interviews. Mais Sibelius, Grieg, Stenhammar, Alfén et Sjoeberg sont défendus à merveille par une interprète à la voix radieuse.
Dawn Upshaw, la personnalité la plus séduisante de cette série d'interprètes, défend aussi un répertoire peu courant : la musique contemporaine. Beaucoup de chansons américaines (Bolcom, Harbison, Crumb, Ives...) auxquelles, grâce à un coefficient de sympathie et beaucoup de pertinence dans les interviews, elle apporte une grande force de persuasion. Olivier Messiaen aussi, dont son interprétation de l'Ange dans « Saint François d'Assise » à Salzbourg puis à Paris, lui a apporté la gloire internationale, avec notamment deux des « Poèmes pour Mi » absolument célestes. La personnalité de son accompagnateur Gilbert Kalish est pour beaucoup dans cette réussite. Mais le plus surprenant de ce récital est la longue pièce du compositeur finlandais Kaja Saariaho (née en 1952), ici aussi interviewée, « Lonh » (Loin) pour soprano et électronique (1955/56), que Barbara Bonney chante avec le grand talent fait de foi et de conviction des véritables interprètes de musique de leur temps.
Rappelons aussi chez le même éditeur trois spectacles du Châtelet, parus sur DVD et déjà commentés ici : « la Belle Hélène » d'Offenbach avec Felicity Lott et Michel Sénéchal, « Casse-Noisette » dans la chorégraphie de Maurice Béjart (voir « le Quotidien » du 23 février) et le délicieux « Concert Offenbach » de Mark Minkowski avec Anne Sofie Von Otter comme soliste invitée.
4 DVD TDK (distribution Intégral) PAL. Enregistrements publics.
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