ON NE SAURAIT DIRE à la fois que les États-Unis sont les plus grands pollueurs de la planète et que leur influence sur la marche du monde est nulle. Il faut harmoniser la critique. Si l'Amérique pollue beaucoup, c'est parce qu'elle représente encore 25 % du PIB mondial et qu'elle distance le Japon, la Chine, la Russie et le Brésil de plusieurs longueurs.
En fait, la seule puissance capable de lui tenir tête, de produire plus (et de polluer plus), et même de la dépasser un jour dans les domaines de la science et de l'innovation, c'est l'Union européenne, laquelle, si elle était plus intégrée et si quelques peuples capricieux ne s'acharnaient à en ralentir le mouvement, aurait déjà dépassé les États-Unis.
Nation-continent.
Le premier constat est donc le suivant : la puissance américaine, c'est celle d'un continent. C'est aussi le résultat d'une guerre de Sécession qui a tourné à l'avantage des unionistes. L'intégration d'une nation-continent, comme l'Europe, est donc une affaire sérieuse qui risque de provoquer de durables dommages. On la souhaite, mais on doit avoir de la patience si on ne veut pas que l'Union meure pendant les couches. Ce qui nous ramène au même point : tant que l'UE ne sera pas complètement intégrée, les États-Unis n'ont pas de puissance concurrente, même s'ils souffrent d'une effroyable crise financière, même s'il leur faudra des années pour se relever de cette crise, même si les projets de George Bush ont à peu près tous échoué, même si la Russie a envahi la Géorgie sans que Washington ait pu s'y opposer, même si la Chine progresse dans son programme spatial et enverra bientôt des hommes sur la Lune, ce que les Américains n'ont pas fait depuis près de quarante ans.
LA MULTIPOLARISATION AIDERA L'AMERIQUE A CONSERVER SA PUISSANCE
Il demeure qu'ils l'ont fait il y a quarante ans, ce qui, tout de même, relativise l'exploit chinois. La Chine est aussi cet immense pays imprégné de nationalisme, mais qui, au nom de la croissance à tout prix, vend du lait empoisonné à ses enfants et réprime l'autonomisme tibétain ou les formes de dissidence. Avec une population cinq fois plus élevée que celle des États-Unis, la Chine a un PIB cinq fois moins élevé que le produit intérieur brut américain. Le revenu par habitant en Amérique équivaut dix fois au revenu per capita des Chinois. Assurément, la croissance est au moins trois ou quatre fois plus vive en Chine qu'aux États-Unis. Mais cela signifie qu'il faudra quand même quelques décennies aux Chinois pour parvenir au PIB actuel des Américains qui, pendant ce temps, ne resteront pas sans rien faire.
Et la Russie ? Elle souffre d'une démographie catastrophique, le nombre des décès étant plus élevé que celui des naissances ; l'espérance de vie y est sensiblement plus basse que dans les pays industrialisés, notamment à cause des ravages de l'alcool ; le système de santé est médiocre ou nul ; la corruption sévit dans toutes les administrations et concerne tout le monde, du moindre agent de police au rond-de-cuir de ministère.
La politique de M. Poutine, destinée à rendre à la Russie la grandeur de l'URSS, n'est fondée que sur la force militaire, la brutalité, le cynisme ou l'indifférence à l'égard des problèmes humanitaires, le chantage pétrolier à l'égard de ses amis et adversaires. M. Poutine croit ou fait croire aux Russes qu'il lui suffit d'ignorer les protestations du monde quand il se conduit comme une brute. Mais, dans la crise actuelle, ceux qui souffrent le plus, ce sont les marchés financiers russes et les citoyens russes qui boursicotaient. C'est assez dire que ce qui se passe à Wall Street a des conséquences immédiates à Moscou, l'inverse n'étant pas vrai.
Leur faillite, c'est la nôtre.
Et puis, raisonnons un peu : la Russie et la Chine disposent de réserves monétaires colossales, l'une grâce au pétrole et au gaz, l'autre grâce à ses exportations de produits manufacturés ; alors que l'Amérique n'a que des dettes.
Mais que se passerait-il, au terme d'une faillite américaine historique, pour les avoirs chinois ou russes qui sont libellés en dollars ? Quel intérêt pour les Chinois, qui possèdent quelque 1 500 milliards de dollars en bons du Trésor et autres actifs américains, si les États-Unis s'effondraient comme en 1929 ? C'est le problème que pose toute superpuissance : quand elle va bien, elle est arrogante, quand elle va mal, elle nous coule nous aussi. Ni Pékin, ni Moscou, ni New Delhi ni Brasilia, ni Paris, ni Berlin ne tireraient le moindre profit économique ou politique d'une chute de ce qu'on appelle encore l'empire américain. Et tout le monde s'arrangera pour éviter une telle issue et donner encore un sursis à la « domination » américaine.
Ce qui est plus vrai que la notion hypothétique de « déclin », c'est l'avènement des pôles multiples. Perspective excellente, même pour l'Amérique, qui a touché, et avec quel fracas, les limites de l'unilatéralisme ; même M. Bush a compris qu'il a besoin de ses alliés, et il s'est bien gardé de soutenir militairement la Géorgie contre l'invasion russe. Le successeur de M. Bush, quel qu'il soit, poursuivra dans le même sens, celui de la concertation. Mais alors, si le danger pour un État dit impérialiste, c'est sa propre hégémonie, qui finit par le détruire, l'avènement de la multipolarisation sera un bienfait pour les États-Unis aussi.
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