« Nous croyons que c'est une découverte révolutionnaire, bien que nous ne sachions pas encore quelle est la profondeur de ce bouleversement », déclare dans un communiqué le Dr Jonathan Yewdell, immunologiste viral du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID, NIH, Bethesda) qui a dirigé ces travaux. « Cela pourrait être le "grand canyon" de la grippe pour comprendre la virulence de ce virus ou peut-être seulement un petit ravin latéral. »
L'équipe de chercheurs, Chen, Yewdell et coll., publie cette découverte dans la revue « Nature Medicine ».
Une découverte totalement fortuite
Les chercheurs ont découvert cette protéine de façon totalement fortuite, au cours d'une recherche systématique de peptides immunogènes qui sont codés par des cadres de lecture alternatifs du virus grippal A. « Nous n'étions pas du tout à la recherche de nouvelles protéines. Nous supposions que les dix protéines grippales connues étaient tout ce qu'il y avait. Nous voulions juste savoir si le système immunitaire avait appris à reconnaître un de ces peptides "déchet" (ou junk peptide). »
Le système immunitaire des souris s'est montré capable de reconnaître un de ces peptides. Mais en examinant de plus près le gène de ce peptide, les chercheurs le trouvèrent étrangement long pour un simple déchet. Ils décidèrent alors d'examiner en quelle quantité ce peptide était fabriqué dans les cellules infectées par le virus grippal. Si c'était un déchet, il ne devrait y avoir que quelques copies du peptide ici et là. En revanche, si c'était une véritable protéine du virus, la protéine devrait être présente en grande quantité. Les chercheurs, grâce à une technique d'immunofluorescence, ont marqué la protéine de vert fluorescent. « Les cellules se sont totalement illuminées. Nous avons constaté de grandes quantités de cette molécule dans la mitochondrie des cellules infectées par le virus et nous avons su que c'était une véritable protéine. C'était un de ces moments "eurêka" de découverte. Le déchet se révélait être en fait un bijou. »
Ce peptide dérive d'une protéine de 87 acides aminés, PB1-F2. Cette protéine est créée lorsque les ribosomes, les machines cellulaires qui traduisent les gènes en protéines, commencent à lire le gène PB1 du virus grippal en un endroit alternatif. « On pourrait dire que, se cachant au sein du gène PB1, réside un autre gène qui code cette protéine », explique le Dr Yewdell. « Cette traduction alternée a peut-être débuté comme une erreur, mais la protéine qu'elle a produite était utile, aussi le gène fut maintenu et amélioré au cours de l'évolution. »
Cette nouvelle protéine présente plusieurs traits inhabituels : elle est absente dans les souches du virus grippal de certains animaux (cochon) ; son expression varie dans chaque cellule infectée ; elle est située dans les mitochondries.
L'apoptose des cellules immunitaires
Les chercheurs montrent qu'elle n'est pas essentielle pour la réplication virale in vitro. Mais leurs expériences démontrent que la protéine PB1-F2 induit l'apoptose des cellules, et en particulier des cellules immunes. En effet, l'exposition de cellules à une version synthétique de PB1-F2 induit la mort cellulaire. Des virus grippaux porteurs de mutations interférant avec l'expression de PB1-F2 induisent une apoptose moins importante des cellules monocytaires humaines que des virus porteurs de PB1-F2 intact. Les chercheurs proposent par conséquent que la protéine PB1-F2 « a pour fonction de tuer les cellules immunes de l'hôte qui répondent à l'infection grippale ».
L'équipe projette maintenant de mieux étudier la fonction de cette protéine. Les chercheurs voudraient aussi savoir si cette protéine pourrait avoir contribué à la virulence élevée des virus à l'origine des pandémies de la grippe asiatique de 1957, de la grippe de Hong Kong de 1968, et surtout de la grippe espagnole de 1918 qui a décimé 20 millions de personnes dans le monde entier.
« A l'instar de nombreuses découvertes scientifiques, celle-ci s'est faite de façon fortuite, et cela confirme l'importance de soutenir la recherche fondamentale sur les maladies infectieuses », commente le Dr Anthony Fauci, directeur du NIAID (NIH). « Lorsque vous avez de bons chercheurs qui explorent des questions intéressantes, ils ne peuvent que trouver des informations cruciales. »
« Nature Medicine », décembre 2001, p. 1306.
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