« Je le reconnais, ce salopard !, s'écrie, au début du téléfilm, Richard Bohringer, alias Pr Lucas Carpentier, penché sur son microscope binoculaire. Mais c'est pas vrai, il est en train de casser son hémagglutinine ! Merde ! »
Ce face-à-face entre un scientifique pour le moins enflammé et la représentation en images de synthèse très colorées d'un virus qui mute sous les lamelles, a déclenché l'hilarité générale parmi nous, lors de la miniprojection organisée pour le personnel, raconte le Dr Guylaine Carcelain, maître de conférence au service d'immunologie cellulaire et tissulaire de l'hôpital de la Pitié, à Paris. Forcément, personne n'a jamais vu une telle séquence dans aucun laboratoire ! »
Mais le patron du service, le Pr Patrice Debré, a quand même donné son nihil obstat. « Je l'ai fait au nom de la nécessaire licence de la fiction, explique-t-il au "Quotidien". Il faut parvenir à un juste équilibre entre la rigueur scientifique et la création romanesque. Pour atteindre un double objectif : dispenser une information de qualité et divertir le public. »
Racolage et panique bannis
Une gageure. Entre le cours scientifique austère et la dérive sensationnaliste, la marge est étroite. A telle enseigne qu'il a fallu s'y reprendre à plusieurs fois, avec différentes équipes mises à contribution pour la rédaction du synopsis, puis du scénario et des dialogues. Pas moins de trois ans de travail auront été nécessaires pour livrer ces trois heures de spectacle télévisuel intense, débitées en deux soirées, lundi et mardi sur France 2. Au final, les saltimbanques et les alchimistes de la paillasse se déclarent fiers du résultat : « On s'est donné beaucoup de mal pour qu'aucune image ne soit de nature à faire bondir les scientifiques et que le public reçoive la leçon qu'il fallait, en bannissant tout racolage, tout risque de dérive vers la panique. »
Les images en laboratoire ont été tournées l'été dernier chez le Pr Debré à la Pitié.
Comme dans tout bon thriller fonctionnant selon les lois de la série noire américaine, le serial killer fait régner la terreur. Il est partout et nulle part : dans l'élevage avicole de la Normandie profonde où il terrasse sa première victime, un solide paysan qui s'écroule au milieu de ses poulets, en soulevant un nuage de plumes et de poussière ; dans la maison du vétérinaire à son tour contaminé ; un peu plus tard, il est en Suède, dans un hôpital, puis dans une baraque de chasseur abandonnée au fin fond de la forêt ; quelques jours après, le voilà à Paris, sous le masque terrifiant d'un clown-cambrioleur contaminé et contaminant sans le savoir, avant d'attaquer les paysages éblouissants d'Islande.
A ses trousses, Richard Bohringer, « très crédible », estime Patrice Debré. Dans le rôle sur-mesure du chercheur ours et imprévisible, il dirige la traque tambour battant contre « le salopard » et sa cassure d'hémagglutinine. Une vieille connaissance contre laquelle, 15 ans plus tôt, il bataillait sur le continent africain : ce virus du groupe aviaire mystérieusement disparu après avoir décimé des villages entiers et tout aussi mystérieusement rejailli, via on ne sait quel réservoir (mammifère, oiseau, insecte ; tapi dans une tique ou dans un moustique ? ).
Après la grippe espagnole, le cauchemar pasteurien de la pandémie qui met six mois à faire le tour du monde en emportant 25 millions d'hommes resurgit et fait régner la terreur.
Contemplant le « Dakar », soudain rêveur, Bohringer-Carpentier lâche : « C'est fascinant de voir à quelle vitesse il se multiplie. Une si grande puissance de destruction dans un organisme si petit ! C'en est presque beau... »
Evidemment, le spectateur en a plein les yeux. Avec ce qu'il faut pour soutenir le rythme et faire se serrer les gorges. Une mère qui commence à tousser, arrachée à son fils, un petit cercueil transporté à la sauvette, que surprend le regard d'un enfant. Jusqu'au ministre de la Santé (Hippolyte Girardot), dont la femme est le troisième cas épidémique et qui se retrouve tout à trac assigné en quarantaine, masqué, dans un hôpital gardé par des militaires en treillis, fusils automatiques en bandoulière. Et l'incessant ballet des scaphandres blancs aux masques de cristal.
Au milieu, pathétique dans la compassion et le silence, Bohringer réussit à donner chair à la volonté de Patrice Debré : « Faire passer dans l'opinion le nécessaire message sur la gravité de l'enjeu épidémique et l'urgence de ne pas paniquer. Entre les scientifiques et les politiques, le public doit prendre toute sa part de responsabilité. C'est essentiel quand il s'agit, par exemple, d'adopter des décisions de mise en quarantaine à grande échelle. »
Dans ce registre de l'édification des foules, le Pr Debré, tout universitaire et chercheur qu'il est aussi, est passé maître, avec ses biographies (Louis Pasteur, Jacques Monod, « le Roman de la vie ») et des films (« Pasteur, 5 années de rage »). On peut à la fois diriger une unité INSERM et prôner un engagement scientifique pour fournir matière à réflexion dans les chaumières, que ce soit sur les neurosciences, les transplantations d'organes et tant d'autres grands sujets où le citoyen doit prendre la parole.
« Chaque siècle connaît ses pestes. Il nous faut nous préparer aux grandes invasions barbares de nos futurs virus », dit-il en exergue de « Virus au paradis ». Une exhortation rattrapée par l'actualité avec l'épidémie de SRAS, et ses centaines de victimes emportées, comme dans la fiction, par des pneumopathies fatales. « La fiction scientifique est partie pour de beaux jours », promet le producteur Jacques Dercourt, qui a su réaliser un beau casting scientifique en s'adjoignant aussi les concours du Pr Jean Dercourt (secrétaire de l'Académie des Sciences, son frère), du Pr Guy de Thé (virologue à l'Institut Pasteur) ainsi que de journalistes scientifiques.
France 2, lundi 23 et mardi 24 juin, 20 h 55.
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